Bovins du Québec, décembre 2001-janvier 2002

Nutrition et reproduction : fragile équilibre

G.C. Lamb*

L’objectif premier de l’éleveur vache-veau est d’obtenir un veau vivant par vache par année. Malheureusement, plusieurs facteurs interviennent pour empêcher les troupeaux d’atteindre leur 100 % de taux annuel de vêlage. L’interaction entre la nutrition et la reproduction est un système complexe impliquant plusieurs interactions entre les composantes de la ration et les signes physiologiques. Cette interaction est celle influant le plus l’équilibre existant entre nourrir les vaches suffisamment pour concevoir et rendre cette gestation à terme sans sur-utiliser les ressources ce qui éliminerait les profits potentiels pour l’entreprise.

L’interaction entre la nutrition et la reproduction implique plusieurs liens complexes. D’un point de vue nutritionnel, l’énergie, la protéine, les minéraux et les vitamines affectent tous la reproduction à leur façon. Les glandes hypothalamus, pituitaire et/ou les ovaires peuvent être affectées par une déficience nutritionnelle. Les producteurs de bovins doivent comprendre le fragile équilibre existant entre la nutrition et la reproduction pour maîtriser la réponse des vaches face à la régie alimentaire et à la production d’un veau vivant en santé par année.

Pour un producteur, s’assurer que chaque vache vêlera annuellement, cela veut dire que les vaches doivent concevoir à nouveau dans les 83 jours suivant le vêlage. Plusieurs facteurs contribuent à retarder l’arrivée de l’oestrus chez les vaches après la mise bas, tels la nutrition et l’allaitement. Ces deux facteurs critiques dictent à la vache quand celle-ci doit revenir en chaleurs. Comme les vaches allaitent dans les premiers mois suivant le vêlage, la nutrition représente donc la principale composante qui peut accroître la productivité chez la vache.

Poids et condition de chair

La cote de condition de chair (CCC) est une méthode de mesure fiable pour estimer le statut nutritionnel d’un troupeau de vaches. Un système visuel de CCC développé pour la vache de boucherie utilise une échelle de 1 à 9; 1 représentant une vache émaciée et 9, une vache obèse. Plusieurs recherches ont démontré un lien direct entre la perte de poids et la CCC. Une CCC équivaudrait entre 84 et 97 livres de poids vif selon les références (tableau 1).

Lorsque les vaches sont maigres au vêlage ou affichent une CCC de 4 ou moins, augmenter le niveau d’énergie de la ration postpartum (après le vêlage) accroît le pourcentage de femelles démontrant des chaleurs durant la période des saillies. Similairement, les taures qui ont vêlé avec une cote de 4 et qui ont été nourries de façon à maintenir leur poids après le vêlage ont réduit leur activité ovarienne et ont obtenu un plus faible taux de gestation que celles ayant vêlé avec une condition similaire mais qui ont gagné du poids suite au vêlage.

Face à ces constats, des recherches concluent que la CCC au vêlage et à la saillie sont des données importantes influençant le succès de la gestation, bien que le changement de poids durant le dernier tiers de la gestation vient moduler cet effet. La condition de chair au vêlage semble être le facteur déterminant pour déclenchement des chaleurs suite à la mise bas.

Dans une étude non publiée, les chercheurs ont pris des prises de sang sur 1 702 vaches allaitantes au tout début de la période des saillies. Seulement 47,2 % de ces vaches démontraient des signes d’oestrus. Cependant, à mesure que la CCC augmentait, le pourcentage de vaches démontrant des chaleurs augmentait également. Cette étude a aussi permis de constater que seulement 33,9 % des vaches ayant une CCC de 4 et moins avaient débuté leur cycle ovarien.

Nutrition avant vêlage

Plusieurs études ont fait état de la relation existant entre le statut nutritionnel et les performances reproductives chez les bovins. Un constat général est que des vaches maintenues sur une ration équilibrée et suffisante avant le vêlage ont une intervalle vêlage-première ovulation plus courte que des vaches recevant une ration déficiente. Une déficience en énergie durant la période prépartum (avant le vêlage) résulte en une pauvre condition de chair au vêlage, une longue intervalle vêlage-première ovulation, et en une réduction du pourcentage de vaches démontrant des chaleurs durant la période des saillies. La gestation et la période entre le vêlage et la gestation sont aussi affectées par le manque d’énergie prépartum.

Quelques auteurs ont suggéré que lorsque la déficience prépartum en énergie est suivie par une ingestion accrue d’énergie en période postpartum, l’effet négatif de la déficience prépartum peut être amoindri. Souvenez-vous que pour avoir un veau par année, les vaches doivent concevoir en dedans de 83 jours suivant le vêlage; or, si les vaches redébute leur cycle ovarien de 70 à 90 jours postpartum, la possibilité d’obtenir un veau par année est grandement compromise.

Nutrition après vêlage

Plusieurs études mentionnent que le fait d’accroître les niveaux nutritionnels après le vêlage augmente les succès de conception et de gestation chez les vaches de boucherie. Élever la densité énergétique de la ration, pourrait accroître le poids et la condition de chair dans les 90 jours postpartum et permettrait de réduire l’intervalle vêlage-première ovulation et d’augmenter le pourcentage de vaches démontrant des chaleurs. Toutefois, certaines études ne corroborent pas ces conclusions.

Lorsque des primipares et des vaches adultes consomment une ration déficiente en énergie avant et après le vêlage, l’intervalle vêlage-première ovulation est prolongée ou le pourcentage de vaches démontrant l’oestrus est réduit. Ainsi, l’efficacité d’une ingestion élevée de nutriments en période postpartum dépend de la sévérité de la déficience nutritionnelle prépartum.

Pour pleinement comprendre l’importance d’une nutrition équilibrée avant et après le vêlage, on doit considérer que seulement la moitié des vaches allaitantes dans un troupeau donné n’ont pas initié leur cycle ovarien lorsque débute la période des saillies. Des données provenant de 2 041 vaches montrent que seulement 51,3 % des vaches avaient ovulé lorsque la période des saillies a commencé. À mesure que l’intervalle postpartum s’étire, le pourcentage de vaches en chaleurs augmente également ainsi, le blâme pour le faible taux de conception durant la période des saillies peut être attribué autant à l’absence de chaleurs qu’à l’inséminateur, au taureau ou au programme de synchronisation des chaleurs. La méthode la plus simple de provoquer les chaleurs est de s’assurer que les vaches reçoivent une alimentation équilibrée et suffisante.

Balance énergétique

La balance énergétique est définie comme l’énergie nette consommée moins l’énergie requise pour l’entretien et la production. Une ingestion insuffisante d’énergie, de protéine, de vitamines et de micro et macro-minéraux ont tous été associés avec une faible performance reproductive. De tous ces composantes nutritionnelles, l’énergie est probablement le nutriment le plus intimement relié aux faibles performances reproductives des vaches durant la période entourant le vêlage. Durant les quatre à 10 semaines suivant le vêlage, au moins 92 % des vaches laitières expérimentent une balance énergétique négative. Ce statut nutritionnel négatif survient par l’incapacité des vaches à consommer assez de matière sèche (de nutriments) pour supporter les fonctions vitales de base (besoins d’entretien), la lactation et la reproduction.

Des chercheurs ont priorisé l’usage métabolique de l’énergie disponible chez les ruminants selon les états physiologiques et les ont classé en ordre d’importance. C’est à dire, où l’énergie ira en priorité selon les fonctions ou les statuts de l’animal :

  1. Métabolisme basal (énergie d’entretien);
  2. L’activité quotidienne;
  3. La croissance;
  4. Les réserves énergétiques;
  5. La gestation;
  6. La lactation;
  7. Les réserves énergétiques additionnelles;
  8. Le cycle ovarien et l’initiation de la gestation;
  9. L’excès de réserves énergétiques.

Basée sur cette liste de priorités métaboliques, la fonction reproductive est compromise durant la période de déficience énergétique car l’énergie disponible est dirigée à rencontrer les réserves énergétiques de base et la production de lait.

L’énergie exerce aussi une action cruciale sur la production d’hormones reliées à la reproduction. Une balance énergétique positive stimule la production de toutes les hormones reliées au développement folliculaire, à l’ovulation et à l’apparition des chaleurs.

Les stades physiologiques

Le tableau 2 décrit le cycle productif d’une vache. Peu après le sevrage, les vaches devraient être en mi-gestation (stade 1). C’est la période où l’éleveur peut améliorer ou réduire la condition de chair des vaches. À ce moment précis, la vache n’a que peu de besoins nutritionnels pour maintenir son métabolisme. Si les vaches ont une faible CCC, il n’y a pas de meilleur moment pour y remédier et ajuster la ration de façon à accroître la condition de chair.

Au stade 2, le foetus débute sa phase de croissance rapide (jusqu’à 1 livre par jour juste avant la mise bas). De plus, à ce stade plusieurs phénomènes physiologiques se passent pour préparer la vache à la lactation. Aussi, corriger la condition de chair de la vache à ce moment-ci demandera beaucoup plus d’aliments et cela survient souvent durant la pire partie de l’hiver où la qualité de la nourriture peut être moindre et les suppléments, plus dispendieux.

La période où la demande nutritionnelle est la plus grande est le stade 3, tout juste après le vêlage. La vache doit produire du lait pour un veau en croissance, elle doit reprendre le poids perdu avant et après la mise bas et finalement, réparer l’appareil reproducteur pour pouvoir être gestante à nouveau en dedans de trois mois après la naissance. Durant ce stade, une vache mange toute la nourriture qu’elle peut pour subvenir à ses besoins. Tenter de corriger la condition de chair à ce moment est inutile. Les vaches sont habituellement au pâturage et essaient de consommer leurs besoins en protéine, vitamines et minéraux; cependant, l’herbe est souvent riche et humide ce qui peut causer une déficience en énergie.

Durant le stade 4, la lactation requiert la majorité de l’énergie et des nutriments mais la condition peut tout de même être améliorée par une bonne régie alimentaire.

Tableau 1.

A. Cote de condition de chair et apparence physique de l’animal pour chaque cote

Cotes

Condition

Apparence physique

1

2

3

4

5

6

7

8

9

Émaciée

Très maigre

Maigre

À la limite

Modérée

Bonne

Très bonne

Grasse

Obèse

Épaules, côtes et dos visibles

Muscles visibles, aucun dépôt de gras

Quelques dépôts de gras, côtes visibles

Côtes avant peu visibles

12 et 13ème côtes peu visibles

Côtes couvertes, spongieux autour de la queue

Gras abondant à l’attache de queue

Épaisse couche de gras

Extrêmement grasse partout

B. Influence de la condition de chair sur le nombre de jours avant le retour en chaleurs

Cote de condition

de chair

Nombre de jours postpartum

3

4

5

6

7

88,5

69,7

59,4

51,7

30,6

Source : Houghton et coll. 1990. J. Anim. Sci. 68 :1438-1440.

Tableau 2. Cycle de production de la vache

STADES

1

2

3

4

Mi-gestation

60-90 jours

pré-vêlage

Du vêlage à la saillie

Saillie à sevrage

Maintenir le métabolisme de base

Maintenir le métabolisme de base

Croissance rapide du foetus

Préparation à la lactation

Maintenir le métabolisme de base

Lactation

Reprendre le poids perdu

Réparer l’appareil reproducteur

Maintenir le métabolisme de base

Lactation

 

Ce texte est traduit et adapté de " Delicate balance exists between nutrition, reproduction ", Feedstuffs, october 18, 1999.