Bovins du Québec, octobre 1999, p. 42

Des critères pour la mise à la réforme

Jennifer Walker

L’élaboration d’un programme de réforme des bovins de boucherie figure rarement en tête des priorités des producteurs, même si ce devrait être le cas selon certains analystes de l’industrie. La réforme a toujours été laissée à la discrétion et au jugement des producteurs. Certains lui donnent plus d’importance que d’autres, dans leur programme de gestion.

La mise à la réforme fait définitivement " appel au jugement " selon le Dr Jim Mantle, vétérinaire de Lindsay en Ontario, pour qui " les critères pour la mise à la réforme varient énormément d’une ferme à une autre. Certains producteurs sont plus agressifs, d’autres moins ".

Mais de l’avis de W.E. McReynolds, un zootechnicien chargé de la diffusion à la Washington State University, un solide programme de réforme " est une nécessité ". Invoquant le coût élevé du maintien d’un troupeau de vaches, McReynolds préconisait, dans un récent article, la mise en place d’un " programme de réforme bien équilibré ".

McReynolds recommande même " un système d’identification permettant d’identifier les animaux facilement; c’est une composante vitale d’un programme de réforme. Avec un tel système, dit-il, le producteur pourrait à l’année longue identifier les animaux susceptibles de réforme. "

Quand un producteur songe vraiment à mettre des animaux à la réforme, il attend le plus souvent à l’automne pour agir. Pour McReynolds, le principal facteur à considérer, pour décider si l’on garde ou non une vache, est qu’elle soit pleine ou non. Toute vache non saillie, dit-il, devrait être retirée automatiquement du troupeau. " Garder une vache non saillie se justifie rarement, quelles que soient la taille ou la qualité de son dernier veau. "

Mais un jugement aussi rapide et définitif ne convient pas nécessairement à tous les éleveurs de bovins de boucherie. Le Dr Neal Robson, un vétérinaire de Millbrook qui est aussi éleveur, croit que l’on peut pardonner un écart occasionnel. Il est certain que " l’infertilité est une bonne raison pour mettre un animal à la réforme ". Mais si l’on a affaire à une vache qui a déjà été une bonne productrice, ça peut valoir la peine de se pencher sur les causes réelles du problème. De nombreux aspects doivent être considérés, notamment l’âge de la vache ainsi que son état de santé global.

Tout ce qui risque d’entraver la capacité d’une vache à porter un veau, ou à le nourrir après sa naissance, souligne aussi McReynolds, doit être sérieusement considéré avant de décider si on la garde ou non. " Tout élément douteux susceptible de nuire à la gestation ou à l’allaitement d’un veau, de même qu’à la performance de la vache au cours de l’année suivante, constitue une base pour la réforme. "

Pour Harvey Graham, un éleveur d’hybrides Angus, la capacité de la vache d’allaiter est un facteur certain, et la position du pis est très importante. " Le pis est-il assez haut pour que le veau y ait accès sans aide? " Si la réponse est négative, la vache en question sera très probablement mise à la réforme.

Pour le Dr Robson, la qualité et la solidité du pis figurent définitivement en tête des critères; il est important que le pis soit bien attaché en toutes ses parties et qu’aucune ne souffre de mammite.

Au moment de décider si l’on réforme une vache, soutient McReynolds, l’on doit examiner la progéniture avec soin, et sans complaisance. " Le poids et la qualité du veau sevré constituent un autre critère de réforme. Retirez les vaches douteuses, sinon vous risqueriez qu’elles ne puissent sevrer leur veau et perdriez ainsi les revenus de leur vente. "

Pour Harvey Graham, la rentabilité est sans contredit un facteur très important. Il sait fort bien lesquelles de ses vaches ont donné un veau de bonne taille l’année précédente. Il vérifie si elles sont en bonne santé et tente d’anticiper lesquelles ont des chances de produire un veau de bonne taille l’année qui vient.

Sur sa ferme, Harvey Graham a établi un programme au terme duquel, chaque année, un maximum de dix pour cent de son troupeau est réformé, soit de 18 à 20 vaches : " Je n’aime pas réformer plus de dix pour cent par année. " Outre la taille du veau, la possibilité de vêlage dans l’année qui vient et l’état du pis, il examine également les pieds et les pattes ainsi que l’âge de l’animal. Bien qu’il n’écarte pas automatiquement une vache parvenue à une certaine maturité, ce facteur peut devenir décisif si d’autres questions se posent en même temps.

Par exemple, " si la vache commence à perdre ses dents, cela annonce d’habitude qu’elle amorce une pente descendante ". Il vérifie donc les dents de ses vaches les plus âgées une fois par année, au moment de les faire passer par le couloir, dans le cadre du programme de vaccination annuelle de son troupeau.

Sur la ferme de Robson, le nombre des vaches réformées varie avec les années, mais ça tourne autour de 10 à 15 pourcent. Ses critères de réforme sont la fertilité, l’état des pieds, des pattes et du pis, la qualité du veau produit ainsi que l’âge de la vache.

" Il y en a toujours une (ou deux ou trois) qui pose problème et qu’il faudrait sans doute réformer, parce que la situation l’exige maintenant ou parce qu’elle va dégénérer à un moment donné. "

Robson avoue cependant qu’il n’est pas toujours facile de réformer une vache, surtout celles qui sont tranquilles : " J’ai un faible pour les vaches tranquilles, autour desquelles je peux me déplacer sans problème. C’est un avantage d’avoir quelques vaches tranquilles parce qu’on peut compter sur elles (en agitant un peu le seau à grains) pour ramener les autres si elles enfoncent une clôture et partent se perdre dans la nature. Alors si la vache est plutôt tranquille, et que ses problèmes ne sont pas trop graves, ça peut valoir la peine de l’épargner encore un peu. "

" Certains éleveurs gardent des vaches beaucoup plus longtemps qu’il ne faudrait, dit le Dr Mantle. " Selon lui, la mise à la réforme est un bon outil de gestion s’il est employé correctement. D’une part, en procédant à une réforme annuelle, le producteur évite de se retrouver soudainement avec plusieurs vaches trop âgées en même temps; d’autre part, en suivant de près la productivité de son troupeau, le producteur aura toujours de bonnes femelles pour la relève.

Néanmoins, la réforme peut constituer un problème épineux pour certains. Lorsque des clients lui demandent conseil en la matière, explique Robson, il n’aime pas être trop agressif : " En dernier ressort, la décision revient au client, je n’aime pas aller les conseiller, à moins que les raisons (pour réformer une vache) ne soient évidentes. "

D’après McReynolds, certaines raisons sautent aux yeux et l’on ne devrait les sous-estimer sous aucun prétexte. " Une vache avec une bosse à la mâchoire ou un cancer de l’œil peut, en un an, se détériorer au point que sa carcasse soit invendable. Une vache avec un pis flasque ou mal attaché, ou dont les mamelles trop gonflées rendent l’allaitement compliqué, devrait aussi être réformée. " Il ajoute que les vaches nerveuses nuisent à l’ensemble du troupeau, et que l’on devrait les en retirer.

Tout de même, la plupart des producteurs savent ce qu’ils veulent et ce qui leur faut au plan de la productivité et de la rentabilisation de leur troupeau. Et, quand viendra le temps de décider quelles vaches restent dans l’étable et lesquelles s’en vont au pâturage, ils continueront à exercer leur bon jugement.

Source: Ontario Beef Farmer, mars-avril 1999