Bovins du Québec, juin 1999, p.38

Bovins et cours d’eau sont-ils incompatibles?

Ann Clark, Ian Duncan, Peter Kevan, Peter Stonehouse, High Whiteley

En Ontario, il semble bien que oui. La plupart des gens qui voient des bovins approcher d'un cours d'eau tirent la sonnette d'alarme. Les bovins ayant accès sans contrôle aux cours d'eau peuvent leur causer d'importants dommages, cest incontestable. Mais faut-il en conclure que les bovins sont nécessairement nuisibles? À l'Université de Guelph, on a commencé à répondre à cette question il y a trois ans.

Les chercheurs de l'université de Guelph ont tenté de mesurer les dommages réels que les bovins en pâturage causaient à la qualité de l'eau en Ontario, soit par défécation et miction, soit en faisant remonter les sédiments du fonds de l'eau au moment de boire ou de traverser, soit en endommageant les berges.

Les dommages directs

Ian Duncan et son équipe ont surveillé les bovins pâturant le long de cours d'eau non clôturés, de l'aube au crépuscule, pendant 52 jours par site répartis sur trois ans. Les bovins étudiés pâturaient sur huit sites longeant des cours d'eau dont les fonds allaient de graveleux à doux, et les berges allant daucunement à complètement boisées. Les troupeaux variaient de 10 à 80 veaux et vaches. Deux des huit troupeaux observés pâturaient en rotation, les autres de façon continue.

La vraisemblance de la défécation et de la miction dans l'eau a été de faible à nulle durant la plus grande partie de la période d'observation. Contrairement à ce qui a été amplement rapporté au sujet des bovins fréquentant les mares artificielles ou les cours d'eau situés dans les milieux arides de l'Ouest, ou nourris entièrement dans les parcs d'élevage, les bovins pâturant en Ontario entrent, boivent ou traversent fréquemment dans l'eau, sans évacuer.

Il s'est parfois produit une évacuation à fréquence élevée ( plus de 10 % du troupeau ) qui n'a pu être attribuée ni aux caractéristiques du cours d'eau ni aux pratiques de pacage mesurées.

La qualité de l'eau daval

Hugh Whiteley et Peter Kevan ont mesuré la qualité de l'eau en aval des cours deau, testant la composition chimique et microbienne ainsi que la diversité des populations d'invertébrés. Ils ont trouvé que la qualité de l'eau d'aval ne pouvait être distinguée de l'eau arrivant de l'amont du pâturage, sauf immédiatement après le passage des bovins. Cela signifie non pas que les bovins ne défèquent pas ou n'urinent pas, mais que le niveau de pollution est déjà tellement élevé que la différence ne peut être mesurée.

Dans cette étude-ci et dans une autre menée parallèlement dans l'Est de l'Ontario, le niveau de pollution antérieure dépasse fréquemment les normes provinciales en matière d'eau potable, avec ou sans bovins. Cela est peu rassurant.

Ces conclusions confirment néanmoins l'étude sur le contrôle du comportement selon laquelle le pâturage des bovins ne semble pas entraîner d'augmentation mesurable du niveau de pollution des cours d'eau ontariens.

Les dommages indirects

Les bovins peuvent cependant affecter la qualité de l'eau d'aval d'une façon indirecte. C'est sur ce plan que les éleveurs peuvent sans doute le mieux contribuer à la qualité de l'eau. Les sédiments qui se trouvent au fond de l'eau jouent, à cet égard, un rôle décisif, mais méconnu. Les coliformes fécaux et autres microbes, dont certains sont pathogènes pour les bovins, peuvent vivre une année ou plus dans les sédiments des cours d'eau. Or, les microbes se trouvant dans le cours d'eau longeant votre pâturage peuvent fort bien provenir d'un écoulement venu du bétail ou de fosses septiques, danimaux sauvages ou de fumiers situés n'importe où en amont. Nous savons maintenant que ces organismes voyagent en flottant ou en suspension dans les sédiments.

Les sédiments proviennent surtout des travaux aratoires effectués sur les terres labourables, mais le bétail en pâturage en est une source additionnelle s'il entre dans le cours d'eau et endommage les berges.

Le surpâturage à proximité des berges affaiblit à la fois le couvert forestier et le système racinaire empêchant l'érosion des berges. Lorsque celles-ci se creusent, des sédiments frais gagnent le cours d'eau; mais en plus ce dernier s'élargit, perd en profondeur, ralentit et permet ainsi l'accumulation des sédiments et des microbes.

Les bovins en pâturage peuvent donc contribuer à la pollution de deux façons : simplement en brassant les sédiments qui sont ainsi transportés plus loin en aval, ou en déstabilisant les berges et en augmentant d'autant la quantité de sédiments qui gagnent le cours d'eau.

On peut éviter ces problèmes de deux façons, pour moins cher que l'installation d'une clôture le long du cours d'eau. Comme les bovins entrent dans l'eau seulement à quelques endroits qu'ils préfèrent ( cette étude le montre ), le renforcement des lieux de traverse à l'aide de matériaux peu coûteux disponibles sur place réduira la quantité des sédiments envoyés dans l'eau par les bovins. Et l'installation de barrières en croix, en favorisant le pâturage en rotation le long du cours d'eau, permettra d'éviter que les vaches ne pâturent trop près de l'eau. Les plantes pourront ainsi mieux pousser sur les berges, réduisant d'autant la largeur du cours d'eau et maintenant le niveau d'eau. Si vous organisez votre pacage de manière à avoir suffisamment de pâturages en haut des berges dès le début du printemps, vos vaches auront moins tendance à descendre paître au bord de l'eau.

* Ann Clark est spécialisée en fourrage et pâturage; Ian Duncan en comportement animal; Peter Kevan est entomologiste; Peter Stonehouse est agronome; et High Whiteley est ingénieur en qualité de l'eau. Tous sont rattachés à l'Université de Guelph.

Source : Cattlemen, mars 1999