Bovins du Québec, avril 1999, page 36

Les odeurs : bien présentes mais peu désirées

Kenneth Eng*

Jusqu’à maintenant, les débats sur les problèmes de pollution associés à l’industrie alimentaire ont surtout visé l’élevage des volailles et du porc, et dans une certaine mesure la production laitière. Les éleveurs de bovins ont moins souffert de cette publicité négative, mais ils n’en sont nullement à l’abri. La controverse sur la concentration des exploitations d’élevage oppose la population urbaine et les plus petits producteurs aux grandes sociétés d’exploitation, faisant se dresser des voisins les uns contre les autres. La situation n’était déjà pas agréable avec la pollution de l’eau et des sols, mais voilà qu’elle s’envenime maintenant qu’on met l’accent sur la pollution de l’air et sur les odeurs qui en découlent, une dimension encore plus difficile à définir et à mesurer.

De récents articles du Journal of Animal Science s’intéressent à l’identification et à l’origine des composés odorants provenant des déchets d’élevage, ainsi qu’à leur incidence sur le bien-être et la santé des humains. Il s’agit là d’un sujet que la majorité d’entre nous préfère passer sous silence. Malheureusement, c’est tout à fait impossible, et s’il faut résoudre les problèmes d’odeurs, il faut d’abord être en mesure d’identifier leur origine et leur composition biochimique. C’est ce que Mackie1 et son équipe ont tenté de réaliser, dans un article très complet.

Ils font ressortir que le peu de prévention et de contrôle sur les odeurs provient d’un manque fondamental de connaissance sur le sujet en général, et particulièrement à propos des déchets animaux et du fumier. Le problème s’accentuera probablement en raison de la concentration des animaux et du fait que le fumier est généralement produit loin des endroits où il pourrait être épandu. Ainsi, le fumier, auparavant reconnu comme fertilisant et conditionneur de sol, est maintenant considéré comme un polluant et une nuisance. Même dans les endroits où il est possible d’épandre du fumier, on décrie les problèmes reliés à l’infiltration des nitrates dans les eaux souterraines, à la toxicité de l’ammoniaque pour les poissons, à la stimulation de la croissance des algues par le phosphore, etc.

Les humains ont un odorat relativement subtil qui leur permet de reconnaître plus de 10 000 odeurs. Toutefois, ils ne peuvent en nommer que quelques-unes. Notre nez peut détecter certaines odeurs à des concentrations plus faibles que celles détectables par un chromatographe en phase gazeuse. Ces odeurs peuvent être détectées longtemps avant que leur concentration devienne un risque pour la santé. Malheureusement, certaines odeurs ne sont pas seulement déplaisantes, elles peuvent avoir un effet sur la santé, irritant les yeux, le nez et la gorge, ou occasionnant des nausées, des migraines, des vomissements, etc.

Les méthodes sensorielles de mesure des odeurs sont limitées, notamment par la rapide saturation du sens de l’odorat par certaines odeurs particulières et par les variations individuelles de sensibilité aux odeurs. La fatigue, les capacités d’adaptation, les conditions atmosphériques, de même que l’âge, le sexe et l’état de santé des personnes qui tentent de mesurer les odeurs constituent aussi d’autres facteurs limitatifs. Il s’ensuit que les méthodes biochimiques d’identification et de mesure des odeurs sont de plus en plus en demande. On recherche des instruments de mesure qui permettent une précision qualitative et quantitative, tout en étant rapides et facilement transportables. Le détecteur à photo ionisation, un petit dispositif qui tient dans la main, peut réagir à des composés dont le potentiel de photo ionisation est égal ou inférieur à celui de sa propre source d’énergie (une lampe). Cet appareil peut détecter les composés organiques volatils, de même que l’ammoniac et l’hydrogène sulfuré. Depuis peu, des recherches sont en cours pour développer un " nez électronique " capable de détecter et de mesurer les odeurs.

Évidemment, les odeurs les plus polluantes et irritantes proviennent principalement du fumier qui, après sa phase de décomposition anaérobie, peut générer une variété de composés volatils odorants capables de s’imprégner aux poussières, aux façades des édifices, aux vêtements, etc. On a constaté l’étendue possible de leur diffusion en identifiant au-delà de 168 composés différents dans l’air de porcherie : ammoniac, amines, composés sulfurés, acides gras volatils, indole, scatole, etc. L’azote contenu dans le fumier constitue un réel dilemme. Cet azote pourrait avoir un certain pouvoir fertilisant, mais une partie substantielle se volatilise très rapidement. On estime que les aménagements actuels d’élevage de bovins et de porcins en enceintes fermées laisseraient échapper jusqu’à 75 % de l’azote excrété. Cet azote perdu constitue une menace de pollution de l’air et de l’eau.

Cette perte a aussi un effet négatif sur la valeur du fumier lui-même. Les cultures requièrent en moyenne un ratio phosphore azote de 5 pour 1, soit celui qu’on retrouve dans la bouse de vache fraîche. Toutefois, une fois que l’azote s’est volatilisé, ce ratio tombe à 1 pour 1, créant un déséquilibre dommageable pour les cultures. Une éventuelle solution consisterait à trouver un produit pouvant inhiber l’uréase, qui convertit en ammoniaque l’urée contenue dans le fumier.

La pollution par émission d’odeur provenant de la concentration du bétail et de la volaille n’est certainement pas un sujet agréable, mais nous ne pouvons pas l’ignorer. S’il ne s’agit pas de domaine de recherche attirant, il demeure néanmoins incontournable.

* M. Eng est consultant.

Source : FEEDSTUFFS, 20 juillet 1998

1 : Mackie, Roderick,I., Peter G. Stroot and Vincent H. Varel. 1998. Biochemical Identification and Biological Origin of Key Order Components in Livestock Waste. J. Anim. Sci. 76 : 1331.