Bovins du Québec, juin-juillet 2001

Comment se fixe le prix au détail?

Kevin Grier*

Stratégies de mise en marché dans le comptoir des viandes

À court terme, c’est-à-dire dans l’année, le prix de détail de la viande de bœuf est déterminé à la fois par la stratégie du prix de détail et par le niveau de la concurrence. Quel que soit le temps de l’année, les prix du comptoir des viandes varient principalement en fonction des stratégies de mise en marché. Cela signifie que le prix, et les changements de prix, varient selon que l’épicier adopte une stratégie " haut/bas ", ou une stratégie du " meilleur prix à chaque jour ".

Le détaillant qui adopte la stratégie " haut/bas " offre la viande et les autres produits à un prix plus élevé que le prix régulier. Mais, à intervalles fréquents, il les vend assortis de rabais plus importants. Cela peut faire quintupler ou décupler, et parfois même plus, le volume normal des ventes. Le volume de l’article en vedette, quant à lui, dépend de l’importance du rabais sur le prix ainsi que de la position de l’annonce dans le dépliant publicitaire. De plus, si la stratégie du prix de détail consiste à mettre souvent en vedette le produit, cela peut représenter de 60 à 70 % de tout le bœuf vendu au cours de l’année. Un autre détaillant, qui adopte la stratégie du " meilleur prix à chaque jour ", maintient ses prix relativement bas et n’offre pas souvent de rabais sur ses produits.

Le prix de la viande, outre ces deux grandes stratégies, relève aussi de questions tactiques telles que la fonction du comptoir des viandes. Par exemple, un détaillant qui mise sur l’attrait de son comptoir des viandes pour accroître sa clientèle acceptera des marges moins élevées dans le but de générer des ventes plus importantes. Un autre sacrifiera certaines ventes afin de maintenir ses marges à un niveau plus élevé.

Quelle que soit la stratégie, les détaillants canadiens recherchent d’emblée une certaine stabilité des prix de la viande. Le prix de telle coupe de bœuf, cette semaine, a de bonnes chances d’être le même la semaine suivante.

Mais en amont des stratégies et des tactiques, c’est l’intensité de la concurrence qui est le facteur le plus décisif dans la fixation des prix. C’est la concurrence qui détermine si l’épicier est en mesure ou non d’augmenter ses prix, ou si les prix subissent une pression à la baisse. Grâce à la vérification hebdomadaire des prix, le détaillant canadien sait pertinemment ce que font ses concurrents.

Le prix de gros est plus sensible aux variations entre l’offre et la demande

À long terme, c’est-à-dire sur plus d’une année, le prix de détail du bœuf est déterminé par l’interaction entre la demande de bœuf, le niveau de l’offre ainsi que les objectifs pour la marge de détail. L’indicateur le plus sensible des conditions de l’offre et de la demande, celui qui réagit le mieux et le plus rapidement, c’est le prix de gros du bœuf, ou le prix à l’abattage.

Le prix de gros du bœuf suit la même tendance et révèle les mêmes oscillations que le prix de détail. Puisque le prix de gros est le plus sensible aux conditions de l’offre et de la demande, on peut dire, qu’à long terme, le prix de gros dirige le prix de détail.

Notez sur le graphique que le prix de gros et le prix de détail ont suivi sensiblement le même mouvement au cours des années 90. En fait, durant cette période, le prix de gros du bœuf a augmenté de 7 %, comparé à seulement 4 % pour le prix de détail. Cela est une indication de l’intensité de la concurrence que se sont livrés les détaillants au cours de la lente croissance des années 1990 à 1996, alors que les ventes des épiceries en général ont connu souvent une croissance nulle, sinon négative. À cause de la concurrence entre épiciers, ou entre les autres canaux de vente, l’augmentation des prix a été minimale.

Dans les années 80, toutefois, le prix de détail du bœuf a augmenté de près de 30 %, comparé à seulement 8,5 % pour le prix de gros – manifestation d’une bonne période économique ainsi que d’un changement de stratégie de prix. Au début des années 80, la plupart des grandes chaînes d’alimentation avaient terminé ou commençaient leur virage vers le bœuf en boîte. Beaucoup s’inquiétaient des incidences de ce virage sur leurs marges. D’autres décidaient de conserver les mêmes marges qu’avant (débat répété en grande partie au début des années 90 lorsque certains ont adopté le format " Viande prête pour le comptoir "). Cela aurait fait augmenter le prix de détail du bœuf.

L’autre facteur forçant les prix à la hausse, dans les années 80, a été la prise en compte des épiciers du coût réel du service de boucherie. À la suite des tests sur les coupes et des évaluations de main-d’œuvre, de nombreux épiciers ont conclu que le bœuf leur rapportait moins qu’ils ne le pensaient. Cela s’est traduit, une fois de plus, par une pression à la hausse sur le prix de détail du bœuf.

Le changement d’attitude des directions des chaînes d’alimentation a lui aussi forcé les prix à la hausse. C’est-à-dire que, traditionnellement, les épiciers au Canada avaient toujours pensé qu’il était dans leur intérêt de garder le prix du bœuf peu élevé comme moyen pour attirer la clientèle. Mais la baisse de la demande survenue dans les années 80 les a amené à remettre en question la sagesse de cette stratégie. S’ajoutant à cela, ils ont demandé à leur service de boucherie de contribuer pour leur juste part ou au moins d’augmenter leur part, en ce qui concerne les marges.

Évidemment, les facteurs liés à la demande jouent également dans la détermination des prix de détail. N’est-il pas instructif de voir les aspects de commodité et de tendreté en venir à se manifester dans le prix du bœuf?

Le prix de gros et le prix payé aux producteurs

Un autre facteur dans la fixation du prix réside dans le rapport entre le prix de gros et le prix payé au producteur. Le prix de gros du boeuf et le prix payé aux producteurs suivent la même courbe mais ils sont aussi étroitement liés l’un à l’autre. Sur le plan statistique, en fait, environ 70 % de la courbe suivie par l’un s’explique par la courbe suivie par l’autre.

Évidemment, s’il existe une relation étroite entre le prix des animaux vivants et le prix de gros, de même qu’entre le prix de gros et le prix de détail, il s’ensuit que le prix des animaux vivants et le prix de détail sont étroitement liés aussi. À cet égard, il est intéressant de noter que depuis 1990, et jusqu’à la fin de 1999, le prix de détail moyen annuel du bœuf a augmenté de moins de quatre pour cent, tandis que le prix annuel moyen payé aux producteurs a augmenté de moins de cinq pour cent au cours de la même période.

Pour l’essentiel, les facteurs décisifs de chacun des secteurs sont étroitement liés par le biais de l’établissement des prix. Compte tenu de l’analyse dont il est ici fait état, il est facile de prévoir la direction que va prendre le prix de détail du bœuf au cours des deux prochaines années. Les approvisionnements en bœuf se resserrent, et le prix du bœuf augmente : gageons que le prix de détail ne tardera pas à suivre!

*Analyste senior de marchés au George Morris Centre, Université de Guelph

L’article suivant a d’abord paru dans le Canadian Cattle Buyer.