Bovins du Québec, avril 1999, page 11

Avez-vous dit pâturages?

E. Ann Clark*

L’aménagement des pâturages relève tout autant de l’acquisition de bonnes attitudes que de la maîtrise des techniques. Même si vous possédez la science et une excellente connaissance des marchés, vos problèmes peuvent persister si vous n’adoptez pas la bonne attitude pour aménager vos pâturages.

D’abord, l’aménagement des pâturages n’est pas à la portée de tous. Si vous croyez qu’il vous suffit de maîtriser votre tracteur pour réussir, alors vous n’avez sans doute pas la vocation. L’aménagement exige une grande souplesse pour adapter sa stratégie chaque fois que les marchés, la météo ou d’autres conditions varient. Ce genre de défi correspond à votre personnalité? Alors poursuivez votre lecture, voici quatre principes intéressants :

1. Le bas de gamme, c’est rentable

L’avantage principal du broutage sur l’élevage en bâtiment ne se traduit pas par une plus grande production, mais par des revenus nets supérieurs. C’est le revenu net, et non le chiffre d’affaires qui compte. Et les deux ne vont pas toujours de pair. S’il y a une leçon à retenir, c’est de garder l’œil sur l’ensemble des résultats financiers, plutôt que sur les revenus bruts comme tels.

C’est cette façon de voir les choses qui a fait le succès des producteurs laitiers et de bovins de la Nouvelle Zélande. Ce n’est pas parce qu’ils sont choyés par un climat plus clément, ni parce qu’ils disposent de pâturages exceptionnels qu’ils ont un pareil avantage concurrentiel leur permettant d’offrir à l’échelle mondiale, sans soutien, un prix du lait représentant le quart de ce que nos producteurs reçoivent. Non, c’est plutôt parce qu’ils sont attentifs aux coûts (sinon franchement radins, diront certains) et qu’ils savent faire preuve d’imagination pour développer des moyens de rentabiliser leurs foins.

Imagineriez-vous stocker l’énergie sur le dos de la vache pendant l’été, alors que l’herbe abonde, pour ensuite lui faire passer l’hiver à même ses réserves de graisse, quand les fourrages sont plus rares? Ou entretenir des troupeaux de 30 à 50 taureaux pendant toute leur vie pour produire à bas prix une viande destinée à l’industrie du hamburger? Pourquoi s’acharner à produire des carcasses de catégorie A-1, si le consommateur n’en veut pas ? Pourquoi s’inquiéter du prix moindre reçu pour des bovins non finis lorsque leur finition coûte plus cher qu’elle ne rapporte?

2. La variété, c’est rentable

Pourquoi rêvons-nous tous de pâturages idylliques, homogènes, verdoyants et bien entretenus? Si votre objectif est le profit, ne gaspillez pas votre argent en tentant d’homogénéiser les conditions de croissance pour uniformiser vos champs. Il est très onéreux de rendre les terres uniformes et souvent, il en coûte plus cher que ce que rapporteront les augmentations de rendement que vous pourrez obtenir. Cela ne signifie pas qu’il faille cesser tout investissement en chaux, en engrais ou en semences. Il s’agit simplement de vous assurer que vos revenus seront supérieurs à votre investissement.

Pourquoi ne pas considérer la diversité des terres de votre ferme comme une ressource? La même terre qui est trop humide pour se prêter au pâturage en début de printemps pourra éventuellement fort bien s’y prêter au milieu de l’été, lorsque les collines sont desséchées. Une colline caillouteuse qui brunit à la fin du printemps pourra s’avérer parfaite au début du printemps pour la mise à l’herbage et le vêlage. Il suffit de planifier judicieusement l’aménagement des clôtures et l’alimentation en eau pour que la variété des champs apparaisse comme un avantage plutôt qu’un inconvénient.

Jack Winch, un chercheur spécialisé en fourrage aujourd’hui à la retraite, préconise un système de " double pâturage ". Essentiellement, certains champs sont principalement réservés au pâturage de printemps et d’automne, alors que d’autres serviront surtout au pâturage d’été. On permettra ainsi à des espèces comme le lotier, qui ne résiste pas longtemps aux pâturages intensifs, de constituer une population dense au milieu de l’été, alors que la terre est trop sèche et la température trop chaude pour la production de la plupart des espèces. Une telle gestion des champs, visant à produire des populations diversifiées, nous fournit de nouveaux moyens pour faire face aux périodes problématiques de l’année.

La leçon à retenir, c’est qu’il vaut mieux travailler les terres dont vous disposez que de rêver des vertes collines de l’Irlande.

3. La diversification, c’est rentable

Pensez à mettre vos revenus à l’abri des caprices de la météo et des marchés. Avec la diversification, votre ferme peut être en mesure de mettre en marché plusieurs types de produits.

El Niño et le réchauffement global de la planète augmentent la probabilité d’événements météorologiques extrêmes, comme des sécheresses prolongées et des tempêtes violentes. À une époque où le soutien gouvernemental de l’agriculture diminue, il vous faut reconsidérer les méthodes dont vous disposez pour protéger vos revenus des aléas de la météo. Par exemple :

Ne stockez pas au maximum – gardez-vous une marge de manœuvre; faire les foins ou ensiler quelques parcelles au besoin. Les foins sont faits de façon variable d’une année à l’autre, mais le rendement du bétail demeure constant. En outre, vous serez mieux à même de prévoir les revenus nets de votre entreprise d’élevage.

Considérez la possibilité de mettre en réserve des parcelles durant l’été, "stockpiling", dans les endroits où les graminées peuvent profiter d’un intervalle pour repousser après la coupe ou le broutage de leurs épis (après la première coupe ou après deux cycles de pacage, habituellement vers la mi-juin). Le retrait de certains enclos de la rotation pour permettre une accumulation de la pousse estivale constitue un autre moyen d’obtenir une meilleure marge de manœuvre pour le pacage de fin d’été ou de début d’automne.

4. Laisser faire la nature, c’est rentable

Dans l’Est du Canada, des prairies naturelles bien aménagées peuvent produire autant, et souvent de façon plus rentable, que des champs nouvellement ensemencés, à teneur égale en légumineuses. Cela peut paraître difficile à croire, mais n’oublions pas qu’il en coûte plus de 200 $ l’acre pour refaire un pâturage. Combien la terre devra-t-elle générer de profits supplémentaires pour amortir en cinq ans un tel investissement? Cinq ans est habituellement le temps que prendra un nouveau pâturage à redevenir à son état primitif si on n’y apporte aucun soin.

N’oubliez jamais que la clé de la rentabilité des pâturages ne se mesure pas à la productivité des champs, en soi, mais au fait d’amener le bétail à brouter tout ce qui pousse. Vous ne seriez pas longtemps en affaires si vous ne récoltiez que la moitié du maïs ou du blé que vous avez semé.

Incroyablement, c’est ce que la majorité d’entre nous faisons des pâturages. Nous gaspillons au moins la moitié de ce qui pousse, soit en n’envoyant pas les bêtes au pacage, soit en les y envoyant une fois que les graminées sont épiées, indigestes et immangeables.

La leçon à retenir serait de ne pas dépenser votre argent dans le réensemencement d’un pâturage avant de l’avoir travailler pendant quelques années. Ne blâmez pas le fourrage pour ses faibles performances, à moins que la proportion de légumineuses soit inadéquate. L’aménagement des pâturages est souvent le maillon le plus faible de la chaîne. Alors, investissez votre argent et vos énergies là où elles peuvent être rentables : dans l’aménagement des clôtures et des points d’eau, et dans l’apprentissage de l’art de la gestion des pâturages.

* Chercheuse spécialisée en fourrage à l’Université de Guelph en Ontario.

Traduit de CATTLEMEN, mai 1998.