Du maïs à surveiller

Alain Fournier et Michel Lemelin, agronomes

Conseillers régionaux en productions animales

Les producteurs de grandes cultures auront tout intérêt à oublier l'été 2000. Un printemps tardif accompagné d'un gel hâtif ont raccourci considérablement la saison de végétation du maïs. Du grain humide à la récolte associé à des conditions favorables au développement des moisissures pourraient occasionner des problèmes de productivité et de reproduction pour les animaux consommant ces aliments.

La plupart des aliments de ferme contiennent des moisissures et des spores de champignons à des niveaux faibles. Par contre, certaines conditions peuvent accélérer la croissance de ces organismes comme les conditions humide et froide de début octobre, le gel précoce du maïs ainsi qu'une maturité variable. Les moisissures ont la capacité de produire des toxines ou mycotoxines sur la surface des grains et occasionner des problèmes importants de santé et de productivité chez les animaux qui les consomment.

Les champignons sont des végétaux dont l’appareil végétatif est dépourvu de racines, de tiges et de feuilles. Ils ne possèdent pas de chlorophylle et sont incapables de réaliser la photosynthèse. Ils se nourrissent donc de matière organique inerte ou morte ou sont des parasites se nourrissant au dépend d’organismes vivants (plantes, animaux, hommes). Ils regroupent de 200 000 à 250 000 espèces. Les moisissures font partie de ce groupe et sont généralement invisibles à l’œil nu. Lorsque leur croissance est particulièrement active, on peut contempler leurs mycéliums (filaments végétatifs des moisissures), comme dans le cas d’une orange oubliée dans le réfrigérateur avec sa moisissure verdâtre du genre pénicillium.

 

Les moisissures susceptibles de produire des mycotoxines sont du genre aspergillus, fusarium et pénicillium. La présence visuelle de moisissures de fusarium sur l’épi de maïs (teinte rosâtre sur le grain) ne signifie pas nécessairement la présence de mycotoxines, car ces êtres microscopiques produisent ces substances lorsqu’ils se sentent menacés. La seule et unique façon de savoir si les grains en contiennent est de prélever un échantillon représentatif de l’aliment et d’en mesurer la présence en laboratoire.

En plus de réduire la valeur nutritive des aliments, ces moisissures donnent mauvais goût à la nourriture et occasionnent généralement une baisse de la consommation de la ration. Les ruminants ont la capacité à dégrader en partie les toxines fabriquées par ces organismes au niveau de leur rumen. Le stress lié à la production élevée des vaches laitières et la croissance rapide des bouvillons ou agneaux lourds les rendent plus sensibles aux effets nocifs de ces toxines et réduisent ce potentiel de dégradation du rumen. Une consommation élevée d’une ou plusieurs toxines peut entraîner des symptômes aigus, tels des hépatites, des hémorragies, des lésions aux reins, des avortements et même provoquer la mort de l’animal. Une consommation faible à modérée de ces substances provoquera généralement une plus faible ingestion d’aliments, une productivité réduite et des troubles de reproduction. Les mycotoxines prédisposent aussi l’animal à des maladies infectieuses variables comme un comptage leucocytaire élevé, une mammite, une augmentation des infections génitales ou des cas de fourbure dans le cas des vaches laitières. Un accroissement de ces infections est entraîné par un affaiblissement des fonctions du système immunitaire occasionné par ces toxines.

On suggère pour les bovins ou ovins dont la productivité est élevée (lactation ou croissance) d’user de prudence avec les aliments contenant plus de 0,5 ppm (partie par million, mg /kg) de vomitoxine, plus de 0,1 ppm de toxine T-2 ou plus de 0,25 ppm de zéaralénone. Ces toxines sont toutes fabriquées par le genre fusarium. La présence de vomitoxine suggère généralement la présence d’autres toxines dont la nocivité est plus élevée que cette dernière. Il faut donc être très vigilant lorsque l’on décèle sa présence dans un aliment. Les grains cassés ou de piètre qualité et les criblures sont plus susceptibles d’en contenir car ils offrent un milieu propice à la croissance des moisissures.

En production porcine, les normes maximales dans la moulée complète sont de 1 ppm de vomitoxine pour les truies et porcelets et de 2 ppm pour le porcs à l'engrais (préférablement 1 ppm). Le premier signe de dépassement de cette norme est la diminution de la consommation de moulée et si c'est plus grave, c'est le refus d'aliment et le vomissement. Pour la zéaralénone, les normes maximales sont de 1 ppm de vomitoxine pour les truies et porcelets et de 2 ppm pour le porcs à l'engrais (préférablement 1 ppm). Lorsque cette norme est excédée, on observe chez la truie le gonflement de la vulve, le retour en chaleurs et la diminution de la taille des portées.

Les moisissures contenues dans les aliments de ferme représentent donc un risque certain pour les animaux. En plus d’affecter la consommation et la production des animaux, ces champignons ont la possibilité de produire des mycotoxines qui peuvent entraîner des pertes importantes pour l’éleveur. Il est donc essentiel d’effectuer une analyse d’un échantillon représentatif d’un lot suspect dans le but de prévenir, plutôt que de subir les contrecoups d’une intoxication. Dans le cas du maïs humide, des conditions adéquates d'entreposage et une reprise suffisante doivent être respectées afin de ne pas stimuler la croissance de ces êtres indésirables et la production de leurs toxines. Il ne faut pas non plus prendre panique car la prudence n'est qu'une qualité,  et il ne faut donc pas en faire une vertu…

Le 12 octobre 2000