Jean-Louis planifie son essai à la ferme

Albert et Jean-Louis, deux voisins producteurs de grandes cultures, discutent franchement des problèmes que vit Jean-Louis sur sa ferme. Jean-Louis, de nature spontanée, appelle son agronome pour qu’elle se joigne à eux. Valérie, sa conseillère en agroenvironnement, n’habite pas loin. Elle les rejoint.
 
JEAN-LOUIS. – Salut Valérie! Viens te réchauffer!
Les trois ont une conversation sur la tempête, les enfants et les sports. Ils en viennent au projet d’essai à la ferme de Jean-Louis.

VALÉRIE. – Donc, tu veux faire un essai pour augmenter tes rendements dans le maïs?  Qu’est-ce que tu veux essayer au juste?

JEAN-LOUIS. – J’voulais faire un essai de fortes doses d’azote, mais Albert m’a convaincu de faire une année de blé et d’y mettre du trèfle [1]. Penses-tu que ça peut m’aider à augmenter mes rendements de maïs?

VALÉRIE. – Ça Jean-Louis, c’est ta question de base.
Elle fait des guillemets avec ses doigts.

VALÉRIE. – « Est-ce que l’inclusion de blé avec trèfle intercalaire dans ma rotation peut augmenter les rendements du maïs-grain subséquents? »

JEAN-LOUIS. – C’est ça que je me demande… Ça coûte cher des semences de trèfle, puis du blé, c’est pas ben ben payant…

VALÉRIE. – En reformulant, ta question devient une hypothèse du genre « l’inclusion de blé avec trèfle intercalaire dans ma rotation va augmenter mes rendements de maïs ».

JEAN-LOUIS. – Ça donne quoi de répéter la même chose à l’envers?

VALÉRIE. – Ton hypothèse de départ est très importante. C’est une question qui se répond par oui ou par non.

JEAN-LOUIS. – Mais toi Valérie, penses-tu que ça va être oui ou non la réponse?

VALÉRIE. – Je pense qu’il y a des bonnes chances que ce soit oui, mais pour en avoir le cœur net, il faut que tu l’essaies. C’est vrai que c’est une bonne idée dans ton cas.

ALBERT. – Parles-nous donc du « p » que tu calcules dans mes essais chez nous.

VALÉRIE. – Oui, le fameux p=0,05! En fait, pour être exacte, ton hypothèse se répond par « probablement oui » ou « probablement non ». C’est un calcul statistique qui va établir la probabilité que la réponse à ta question soit oui ou non. En général, on dit que la réponse est « oui » si la probabilité qu’elle soit « non » est de 5% ou moins.

JEAN-LOUIS. – Ça va avoir l’air de quoi dans mon champ tout ça?

VALÉRIE. – Ta question est bonne. Parce que justement, après avoir déterminé ta question à répondre et déterminé ton hypothèse, l’étape suivante est d’établir quel sera ton dispositif expérimental.

JEAN-LOUIS. – Je l’ai dit à Albert tantôt, c’est pas un centre de recherche chez nous!

VALÉRIE. –  Faut pas avoir peur de ça. D’ailleurs, un projet d’évaluation de l’effet du trèfle comme Albert te propose, ça a été réalisé en 2016 par l’IRDA. Il y a une dizaine de fermes, réparties dans plusieurs régions du Québec, qui ont implanté du trèfle dans des céréales à paille. Ils sont censés publier leurs résultats à l’automne. Le but d’utiliser un dispositif expérimental est d’évaluer si la variabilité qu’on observe au champ est due à notre traitement ou à des variations naturelles dans les rendements.  C’est important pour prévoir si nos résultats vont se répéter année après année.

ALBERT. – Qu’est-ce que tu lui proposes comme dispositif?

VALÉRIE. – Il y plusieurs types de dispositifs qui existent. Mais dans le cas présent, je choisirais le dispositif en blocs aléatoires complets. Je vais te faire un petit dessin pour voir à quoi ça pourrait ressembler au champ en 2017.

JEAN-LOUIS. – Tu veux me faire battre de travers dans le champ?

VALÉRIE. – Oui, c’est pour éviter de mesurer l’effet des drains. Imagine, si ton champ est un peu compacté et qu’on place ta parcelle directement sur le drain. On mesurerait autant l’effet du drain que l’effet du trèfle.

JEAN-LOUIS. – OK, je comprends. Maintenant…tu les connais mes champs, on fait ça où cet essai-là?

VALÉRIE. – C’est une bonne question. On choisira un champ assez uniforme, qui est prêt pour du blé ce printemps. Ton champ 7 était en soya l’année passée? Ça serait parfait.

JEAN-LOUIS. – OK, une fois qu’on a décidé ça, il reste quoi à décider ?

VALÉRIE. – Le reste, c’est des détails[2], des détails importants, mais des détails. Comme le type de trèfle, le mode de semis, etc. Le plus compliqué, c’était de te décider, et ça vous l’avez réglé avant que j’arrive ! [3]

ALBERT. – Tu vois mon Jean-Louis, c’est pas sorcier faire un essai au champ! Tu vas les augmenter tes rendements de maïs!

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[1] Leur discussion porte sur un essai de trèfle, mais il est clair que les mêmes principes s’appliqueraient si l’essai portait sur des doses d’azote minéral.
[2] Dans ses explications, Valérie a suivi toutes les étapes usuelles de la planification d’essais à la ferme. Voir SARE : http://www.sare.org/Learning-Center/Bulletins/How-to-Conduct-Research-on-Your-Farm-or-Ranch
[3] Voir les billets précédents La base en agriculture, c’est quoi? et On fait ça comment, un essai à la ferme?