Mycorhizes: ce qu'on ne vous dit pas

Il semble bien que les producteurs de maïs et soya du Québec soient maintenant devenus la cible privilégiée visée par la campagne publicitaire intensive entreprise par les fabricants d’additifs à base de mycorhizes.

Après avoir été bombardés de reportages, d’articles, de témoignages de producteurs et de chercheurs, et autres publicités plus ou moins assumées, on en vient à croire qu’il faut absolument ajouter ces produits à nos sols et cultures, sinon elles ne produiront tout simplement pas !

Il est vrai que les mycorhizes, des micro-organismes du sol largement méconnus et négligés13, remplissent plusieurs fonctions très utiles dans les agroécosystèmes : augmentation du volume de sol exploré (100 X plus)9, augmentation de la matière organique14, stimulation de la division des racines9, accès et absorption accrus en éléments peu mobiles (P15,18, Zn21, Cu21) et mobiles (N11, K12), agrégation du sol par la production de glomaline2,3, protection contre pathogènes5, et résistance à la sécheresse24. Devons-nous pour autant  recourir à des produits commerciaux ? C’est un raisonnement que l’on utilise très souvent dans le monde de la fertilisation traditionnelle, mais qui escamote une étape essentielle. S’il est vrai que la carence la plus fréquente de nos cultures est l’alimentation en oxygène aux racines, doit-on pour autant comprendre qu’il faille s’en procurer à l’extérieur, ou ne devrions-nous pas tout simplement chercher à améliorer la santé du sol (structure aérée) ? Cet exemple avec l’oxygène peut paraître exagéré; c’est pourtant le même stratagème qui est utilisé avec le phosphore et les mycorhizes.

On ne nous présente jamais aucun résultat d’essai structuré pour appuyer les prétendues augmentations de rendement. On ne nous dit pas que les essais avec répétitions, incluant des témoins sans inoculation dans le même champ, et indépendants, réalisés au Québec et répertoriés, ont conclu à la non-rentabilité de ces produits pour les grandes cultures4,6. Sur 22 sites-années en Montérégie, le rendement de soya a été augmenté en moyenne par 52 kg/ha (1,4 %; variant d’une perte de 7,9 % à un gain de 6,0 % selon le site-année), ce qui est considéré non significatif6.

Comment explique-t-on ces résultats ? Tout simplement par la présence dans beaucoup de nos champs d’immenses quantités de spores, hyphes et autres structures de ces mycorhizes indigènes présents avant même que l’on ajoute une pincée de l’inoculant. Parce que c’est bien ce que ces produits représentent dans la majorité des cas : une infime goutte d’eau dans un océan déjà très bien pourvu en mycorhizes, de la même espèce d’ailleurs, mais mieux adaptés aux conditions. Dans un sol typique de l’est du Canada, les mycorhizes arbusculaires (du type formant des associations avec les racines des cultures) représentent environ 25 % de la biomasse microbienne d’un sol22 et recyclent en une saison entre 25 et 435 kg P2O5/ha11. Lors d’une expérience menée dans un champ en semis direct de St-Blaise, on a mesuré 2,4 m d’hyphe/cm3, soit l’équivalent de 2400 km/m3 de sol18 ! Il faut un sol ayant atteint un état de dégradation avancé pour créer un environnement où l’inoculum va produire un effet significatif. Par exemple, un sol sableux subissant un travail de sol intensif, comme on en voit souvent dans certaines productions maraîchères.  À l’inverse, dans un sol en semis direct, où les connexions mycorhizes/racines se refont chaque printemps de façon beaucoup plus rapide qu’en travail conventionnel, la probabilité d’un effet du produit est très minime. Ces mycorhizes indigènes survivent bien à nos hivers23. Une étude menée en Ontario a démontré que l’on obtenait une colonisation des racines plus complète en utilisant, à la place de l’inoculant commercial, une quantité équivalente d’un sol que l’on avait prélevée dans un champ en semis direct depuis longtemps1.

Plusieurs, si ce n’est la majorité, des publications scientifiques soutenant la grande utilité des mycorhizes ont été réalisées en comparant un sol inoculé artificiellement à un échantillon du même sol, mais stérilisé. Il serait plutôt souhaitable qu’avant d’extrapoler vers une application pratique, que l’on compare avec un sol représentatif de la production en champ.
Ce n’est pas les bienfaits des mycorhizes qu’il faut mettre en doute, mais bien ceux de l’application d’un produit dont la rentabilité n’est pas démontrée dans nos conditions !

Autre question : est-ce dans l’intérêt du producteur de substituer l’achat d’un produit (engrais phosphaté) par un autre (inoculant mycorhizien) quand on sait qu’il peut très bien obtenir les mêmes résultats sans apport externe ?
La recherche indépendante a identifié plusieurs pratiques qui, appliquées seules ou combinées, peuvent stimuler plus efficacement les mycorhizes du sol, en plus des autres bénéfices qu’elles procurent :
  • Réduire le travail du sol7,30, surtout le labour8,15,18,23,27;
  • Intégrer des cultures qui, par leur période de croissance, entretiennent l’activité des mycorhizes7: céréales d’automne, cultures intercalaires29, etc. Éviter les espèces non-hôtes : crucifères et le sarrasin15,25;
  • Éviter les doses excessives de phosphore, et éviter l’enrichissement excessif du sol17,26;
  • Éviter certains fongicides18 et à plus forte raison la fumigation20;
  • Adopter le mode de production bio5;
  • Épandre des engrais de ferme8;
D’autre part, il serait faux de croire que les cultivars anciens d’une espèce créaient des symbioses plus facilement ou efficacement avec les mycorhizes que les cultivars récents, si l’on en croit une expérience sur 10 cultivars de blé au Manitoba16. Il a été par contre démontré qu’il existait des différences d’intensité de colonisation entre des hybrides de maïs de même époque19, et certains soupçonnent possible que l’amélioration génétique dans le maïs ait produit des hybrides moins dépendants des mycorhizes20.

Il n’y a pas de meilleur conseil que de demeurer vigilant, et critique devant les promesses faites au sujet de ces mycorhizes commercialisés. Améliorer la santé de son sol restera à cet égard comme sous plusieurs autres aspects un objectif prioritaire.

Tableau 1. Importance des associations mycorhiziennes pour certaines grandes cultures25,28
Grande importance Moyenne Sans importance (indépendantes)
Fèves
Lin
Maïs
Pois
Pommes de terre
Tournesol
Avoine
Blé
Orge
Soya
Betterave
Canola
Moutarde
Sarrasin


 Voir les références

Références
1Antunes, P.M., Koch, A.M., Dunfield, K.E., Hart, M.M., Downing, A., Rillig, M.C., et Klironomos, J.N. 2009. Influence of commercial inoculation with Glomus intraradices on the structure and functioning of an AM fungal community from an agricultural site. Plant Soil 317: 257-266.
2Ball, B.C., Bingham, I., Rees, R.M., Watson, C.A., et Litterick, A. 2005. The role of crop rotations in determining soil structure and crop growth conditions. Can. J. Soil Sci. 85: 557-577.
3Bethlenfalvay, G.J., et Barea, J.-M. 1994. Mycorrhizae in sustainable agriculture. 1. Effects on seed yield and soil aggregation. Amer. J. Alternative Agric. 9: 157-161.
4Bournival, M. 2004. L’utilisation de mycorhize dans la culture de céréales biologiques.
5Entz, M.H., Penner, K.R., Vessey, J.K., Zelmer, C.D., et Thiessen Martens, J.R. 2005. Mycorrhizal colonization of flax under long-term organic and conventional management. Can. J. Plant Sci. 84: 1097-1099.
6Faucher, Y., et Perreault, Y. 2013. Impact des mycorhizes sur la productivité du soya. Présentation à la Journée d’information régionale Grandes cultures, St-Hyacinthe 3 décembre 2013.
7Galvez, L., Douds, D.D.Jr., Wagoner, P., Longnecker, L.R., Drinkwater, L.E., et Janke, R.R. 1995. An overwintering cover crop increases inoculum of VAM fungi in agricultural soil. Am. J. Altern. Agr. 10:152-156.  
8Garcia, J.P., Wortmann, C.S., Mamo, M., Drijber, R., et Tarkalson, D. 2007. One-time tillage of no-till: effects on nutrients, mycorrhizae, and phosphorus uptake. Agron. J. 99: 1093-1103.                                                                        
9Grant, C., Bittman, S., Montreal, M., Plenchette, C., et Morel, C. 2005. Soil and fertilizer phosphorus: effects on plant P supply and mycorrhizal development. Can. J. Soil Sci. 85: 3-14.
10Grant, C.A., Monreal, M.A., Irvine, R.B., Mohr, R.M., McLaren, D.L., et Khakbazan, M. 2009. Crop response to current and previous season applications of phosphorus as affected by crop sequence and tillage. Can. J. Plant Sci. 89: 49-66.
11Hamel, C. 2004. Impact of arbuscular mycorrhizal fungi on N and P cycling in the root zone. Can. J. Soil Sci. 84: 383-395.
12Hamel, C., et Smith, D.L. 1991. Interspecific N-transfer and plant development in a mycorrhizal field-grown mixture. Soil Biol. Biochem. 23:661-665.       
13Hamel, C., et Strullu, D-G. 2006. Arbuscular mycorrhizal fungi in field crop production: Potential and new direction. Can. J. Plant Sci. 86: 941-950.                                
14Helgason, B.L., Walley, F.L., et Germida, J.J. 2009. Fungal and bacterial abundance in long-term no-till and intensive-till soils of the northern Great Plains. Soil Sci. Soc. Am. J. 73:120-127.
15Kabir, Z. 2005. Tillage or no-tillage: impact on mycorrhizae. Can. J. Plant Sci. 85: 23-29.
16Kirk, A.P., Entz, M.H., Fox, S.L., et Tenuta, M. 2011. Mycorrhizal colonization, P uptake and yield of older and modern wheats under organic management. Can. J. Plant Sci. 91:663-667.                                                                                                                           
17Kurle, J.E., et Pfleger, F.L. 1994. Arbuscular mycorrhizal fungus spore populations respond to conversions between low-input and conventional management practices in a corn-soybean rotation. Agron. J. 86:467-475.
18Landry, C.P., Hamel, C., et Vanasse, A. 2008. Influence of arbuscular mycorrhizae on soil P dynamics, corn P nutrition and growth in a ridge-tilled commercial field. Can. J. Soil Sci. 88: 283-294.
19Liu, A., Hamel, C., Begna, S.H., Ma, B.L., et Smith, D.L. 2003. Soil phosphorus depletion capacity of arbuscular mycorrhizae formed by maize hybrids. Can. J. Soil Sci. 83: 337-342.                               
20Liu, A., Hamel, C., Elmi, A.A., Zhang, T., et Smith, D.L. 2003. Reduction of the available phosphorus pool in field soils growing maize genotypes with extensive mycorrhizal development. Can. J. Plant Sci. 83: 737-744.                               
21Liu, A., Hamel, C., Hamilton, R.I., Ma, B.L., et Smith, D.L. 2000. Acquisition of Cu, Zn, Mn, and Fe by mycirrhizal maize (Zea mays L.) grown in soil at different P and micronutrient levels. Mycorrhiza 9: 331-336.        
22Liu, A., Hamel, C., Spedding, T., Zhang, T.-Q., Mongeau, R., Lamarre, G.R., et Tremblay, G. 2008. Soil microbial carbon and phosphorus as influenced by phosphorus fertilization and tillage in a maize-soybean rotation in south-western Quebec. Can. J. Soil Sci. 88: 21-30.                                                                                 
23Miller, M.H. 2000. Arbuscular mycorrhizae and the phosphorus nutrition of maize: A review of Guelph studies. Can. J. Plant Sci. 80: 47-52.                                                   
24Mosse, B. 1986. Mycorrhizae in a sustainable agriculture, pp. 105-123 in Lopez-Real, J.M., et Hodges, R.D. (eds.), The Role of Microorganisms in a Sustainable Agriculture. AB Academic Publ. Berkhamstead, UK., 246 p.
25Plenchette, C., Fortin, J.A., Furlan, V. 1983. Growth responses of several plant species to mycorrhizae in a soil of moderate P fertility. I. Mycorrhizal dependency under field conditions. Plant and Soil 70 : 199-209.
26Sheng, M., Lalande, R., Hamel, C., Ziadi, N., et Shi, Y. 2012. Growth of corn roots and associated arbuscular mycorrhizae are affected by long-term tillage ans phosphorus fertilization. Agron. J. 104:1672-1678
27Spedding, T.A., Hamel, C., Mehuys, G.R., et Madramootoo, C.A. 2004. Soil microbial dynamics in maize-growing soil under different tillage and residue management systems. Soil Bio.. Biochem. 36 :499-512.                                                      
28Troeh, Z.I.., et Loynachan, T.E. 2003. Endomycorrhizal fungal survival in continuous corn, soybean, and fallow. Agron. J. 95: 224-230
29Turmel, M.S., Entz, M.H., Tenuta, M., May, W.E., et Lafond, G.P. 2011. The influence of a long-term black medic (Medicago lupulina cv. George) cover crop on arbuscular mycorrhizal fungal colonization and nutrient uptake in flax (Linum usitatissimum) under zero-tillage management. Can. J. Plant Sci. 91: 1071-1076.             
30Ziadi, N., Angers, D.A., Gagnon, B., Lalande, R., Morel, C., Rochette, P., et Chantigny, M. 2014. Long-term tillage and synthetic fertilization affect soil fonctioning and crop yields in a corn-soybean rotation in eastern Canada. Can.J.Soil Sci. 94:365-376.      
 


 
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