Apiculture – Chronique No 73 – 27 juin 2025

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AU RUCHER CETTE SEMAINE
27 juin 2025
 

Comprendre le couvain plâtré

Le temps froid et pluvieux des derniers mois est un terrain favorable pour le développement des champignons! Parmi eux, Ascophaera apis, le coupable derrière le couvain plâtré, aussi appelé mycose de l’abeille. Dans une stratégie de lutte intégrée, mieux vaut connaître son ennemi afin d’assurer une gestion efficace de la maladie. Un petit détour par la mycologie s’impose donc pour mieux comprendre ce champignon et adopter les bonnes stratégies contre ce pathogène de l’abeille mellifère.

Le couvain plâtré est une maladie fongique causée par Ascophaera apis, un champignon ascomycète au cycle biologique hétérothallique. Autrement dit, la formation de ses spores (ascospores) résulte d’une reproduction sexuée nécessitant la présence de deux hyphes de compatibilité opposée. Concrètement, l’infection par Ascophaera apis débute lorsqu’une spore germe et se développe en mycélium, un processus comparable à celui d’une graine qui germe pour former des racines et une tige.

Les spores peuvent persister dans l’environnement pendant plusieurs années avant de rencontrer des conditions propices à leur germination et à une nouvelle infection. Les signes cliniques apparaissent lorsque les larves, quelle que soit leur caste, ingèrent ces spores, souvent via un pollen contaminé. Une fois ingérées, elles germent dans la muqueuse intestinale des larves, un milieu anaérobie (dépourvu d’oxygène). En seulement 2 à 3 jours, le mycélium envahit les larves infestées, provoquant leur momification.

Dans une ruche, les abeilles nourricières transmettent le pollen infesté aux larves, tandis que les abeilles adultes dispersent les spores d’une ruche à l’autre. Les spores peuvent aussi rester au fond des alvéoles et provoquer une infestation lorsque la reine y pond à nouveau. L’apiculteur est également un vecteur de propagation : les manipulations au rucher, comme la réorganisation et le transfert de cadres, facilitent la dispersion des spores.

Maintenant que nous comprenons comment l'infestation se produit, voyons quelles sont les conditions idéales pour que les spores germent efficacement. La germination se produit à des températures comprises entre 31 et 35°C, associées à une baisse d'oxygène ou à une augmentation du CO2 dans l'hôte (les larves). Une fois la germination effectuée, la progression de la maladie et la momification se déroulent sous des conditions légèrement différentes. En effet, le mycélium se développe à des températures plus fraîches, autour de 25°C, et nécessite une humidité élevée. Le mycélium présent sur les larves est chargé en ascocarpes (structures fructifères du champignon), qui libéreront éventuellement des millions de spores, capables d'infecter à leur tour d'autres larves, dès que les conditions redeviendront favorables. Ce sont ces ascocarpes qui donnent aux larves momifiées leur apparence noire ou grise. À l’inverse, les momies blanches sont remplies de mycélium qui n’a pas encore sporulé.

 

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Dans les alvéoles, on peut voir des larves saines (blanches et luisantes, en forme de "C" et des larves en début d'infection au couvain plâtré. Ces larves malades ont perdu leur forme caractéristique et son plutôt à la verticale dans l'alvéole. On voit également un point jaune (des fèces) au centre. À un stade plus avancé de l'infection, les larves vont devenir dures et se calcifier.

Crédit photo: Laurence Plamondon

Le couvain plâtré n’a jamais été une maladie causant des pertes majeures en apiculture, mais sa présence semble avoir augmenté ces dernières années. Son apparition est favorisée par certaines conditions d’humidité et de température, mais sa persistance au sein d’une colonie dépend de multiples facteurs. Une forte incidence de la maladie peut indiquer que la colonie est soumise à un stress important et/ou présente un faible comportement hygiénique.

Mais au juste, qu’est-ce qui peut stresser une colonie d’abeilles ? Les températures extrêmes causées par les changements climatiques, le manque de ressources de qualité, les maladies et parasites, l’exposition aux pesticides, le déplacement fréquent des ruches, l’absence de reine ou encore une gestion inadéquate de la colonie figurent parmi les nombreux facteurs de stress… et la liste ne s’arrête pas là!

Évidemment, beaucoup de ces facteurs sont difficile à contrôler. Puisqu’il n’existe pas de traitements chimiques homologués au Québec pour le couvain plâtré, il est préférable de se concentrer sur la gestion du stress des colonies en intervenant sur les facteurs que nous pouvons influencer. D’abord, une bonne gestion des ruches repose sur le maintien de colonies fortes et le renforcement des colonies plus faibles. Un contrôle rigoureux du Varroa et des autres parasites tout au long de la saison est essentiel pour assurer des colonies vigoureuses au printemps suivant. En période de disette, il est recommandé de nourrir et de supplémenter les colonies afin d’éviter un stress nutritionnel important. Mieux vaut limiter les manipulations inutiles tôt en saison afin d’éviter de refroidir le couvain, ce qui le rendrait plus vulnérable.

En cas d’augmentation de la maladie, le remplacement de la reine peut être une stratégie à considérer. Sélectionner une reine issue d’une lignée hygiénique pourrait également contribuer à une meilleure détection et élimination des larves momifiées, limitant ainsi la propagation du couvain plâtré.

Rappelons que les spores persistent longtemps dans la ruche, ce qui rend essentiel le remplacement des cadres les plus contaminés. Il est également important d’éviter d’interchanger des cadres présentant des signes d’Ascophaera apis avec des colonies saines. Tout au long de la saison, retirer les vieux cadres foncés et adopter une stratégie de rotation permet de limiter l’incidence de plusieurs problématiques.

Il n’existe pas de solution miracle, mais l’adoption de bonnes pratiques de prévention peut faire toute la différence. Assurer un accès à des ressources florales diversifiées et de qualité, tout en appliquant des mesures des gestions adaptées, est essentiel pour limiter l’incidence du couvain plâtré dans nos colonies.


Références:
Pernal, S.F. et H.Clay (dir.). 2015. Maladies et organismes nuisibles de l'abeille domestique, 3e édition (version française). Beaverloge (Alberta), Association canadienne des professionnels de l'apiculture, 76 p. 



Bulletin rédigé par Sara Bouaziz, conseillère en apiculture | CRSAD et révisée par Martine Bernier, responsable du transfert technologique et de la formation en apiculture | CRSAD


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