L'arbre à pain

On associe surtout la châtaigne aux cultures européennes, notamment la Corse, où elle constitue une partie importante de l’alimentation. Notre culture nord-américaine, quant à elle, a oublié que le châtaigner américain (Castanea dentata) était un arbre dominant des forêts décidues de l’est et une source de nourriture pour les Autochtones. On estime qu’un décidu sur quatre était un châtaigner avant la décimation de l’arbre par le chancre du châtaignier, le champignon Cryphonectria parasitica. Les fameuses paroles « Chestnuts roasting on an open fire » nous rappellent l’importance de ces noix à une autre époque.

C. dentata a énormément de valeur, produisant une récolte annuelle de noix (qui peut servir d’aliment important pour une diète humaine ou animale) et du bois d’œuvre de très grande qualité, résistant à la pourriture. Mondialement, le rendement des châtaigniers est de 3,7 tonnes à l’hectare et dans un système agroforestier, l’utilisation de l’espace dans les rangées en pâturages ou en production de fourrage accroîtrait d’autant plus le rendement du système (Toensmeier, 2016).

Malheureusement, en 1904, le chancre du châtaignier fut observé à New York, importé sur des châtaigniers asiatiques (ces derniers y étant résistants). Quatre milliards d’arbres avaient succombé dans les années 60 (Jacobs et al., 2015). Bien plus tard, dans les années 80, « The American Chestnut Foundation » (TACF) fut fondée pour sauver C. dentata. Plusieurs méthodes ont été et sont toujours étudiées dans le but de développer un châtaignier américain résistant au chancre. Parmi les méthodes étudiées, le rétrocroisement est une des plus importantes. La résistance génétique du châtaigner asiatique est utilisée, par hybridation, pour conférer la résistance à l’américain. Ainsi, le rétrocroisement consiste à croiser un châtaigner américain à un asiatique puis le recroiser plusieurs fois avec un américain de sorte qu’un arbre du type américain soit résistant. Cet arbre sera génétiquement presque entièrement américain, sauf une toute petite partie lui conférant sa résistance. Par contre, cette méthode est imparfaite, entre autres car le châtaigner asiatique n’est que très peu résistant au froid, limitant l’étendue de l’habitat de l’hybride au nord (Jacobs et al., 2015).

Par ailleurs, la modification génétique est un moyen controversé de régler ce problème. La production de C. dentata transgénique résistant au chancre a été réussie, et le but serait de croiser l’arbre transgénique d’origine à plusieurs autres arbres, question d’avoir une population diversifiée génétiquement, mais résistante. Ce serait le premier cas de naturalisation d’une espèce transgénique et cela nécessiterait donc l’approbation du Food and Drug Administration (FDA). Les OGM sont extrêmement critiqués et ceux qui sont utilisés à grande échelle permettent l’utilisation d’herbicides sans affecter la culture choisie. La réhabilitation d’une espèce d’arbre par modification génétique constitue un enjeu complètement différent. Par contre, il est important d’évaluer les risques de naturaliser une espèce transgénique, d’autant plus qu’un précédent pourrait être créé.
À McGill, la chercheuse Christie Lovat utilise la culture in vitro pour provoquer des mutations dans le châtaigner et favoriser sa résistance tout en préservant l’intégrité de l’espèce.

La perspective d’intégrer ce productif « arbre à pain », appelé ainsi dû à sa noix riche en glucides (nutritionnellement similaire au riz brun), dans des systèmes agroforestiers est enthousiasmante. Ces systèmes ont la capacité d’agir comme puits de carbone et de stocker du CO2 atmosphérique en molécules organiques, réduisant la quantité et les effets sur le climat (De Stefano et al, 2017). L’utilisation de terres marginales, ayant un faible potentiel de production conventionnelle, ne ferait qu’ajouter aux bienfaits de cet hypothétique système (Dixon, 1995). Le retour du châtaignier américain aura fort probablement lieu d’ici quelques années, mais son utilisation massive comme source de nourriture, tel qu’autrefois, est plus incertaine. Le châtaigner américain en agroforesterie pourrait être un des éléments d’une nouvelle révolution agricole qui aurait des impacts positifs sur l’environnement. La séquestration du carbone est nécessaire pour l’atténuation des changements climatiques et des systèmes agricoles vivaces, productifs et diversifiés doivent être mis en place.


Références
Toensmeier, E. (2016). The carbon farming solution. White River Junction, Vermont: Chelsea Green Publishing.
Jacobs, Douglass & Dalgleish, Harmony & Nelson, Charles. (2018). Synthesis of American chestnut (Castanea dentata) biological, ecological, and genetic attributes with application to forest restoration. Available at: http://foresthealthinitiative.org/resources/chestnutdossier.pdf
De Stefano, Andrea & G. Jacobson, Michael. (2017). Soil carbon sequestration in agroforestry systems: a meta-analysis. Agroforestry Systems. 10.1007/s10457-017-0147-9.
Dixon, R.K. (1995) Agroforestry systems: sources of sinks of greenhouse gases? Agroforestery Systems 31: 99. https://doi.org/10.1007/BF00711719