Essais de longue durée au CÉROM : description (1 de 6)


Les activités de recherche en agriculture se limitent, bien souvent, à des essais au champ de courte durée. Bien que les activités agricoles soient généralement exercées sur le long terme, les recherches effectuées au champ sont rarement financées sur des horizons de plus de 3 à 5 ans. Cette situation limite donc la mesure des réels changements provoqués par l’adoption des pratiques agricoles et des conséquences sur la durabilité de l’environnement agricole de celles-ci.

Au Québec, il existe peu d’études de longue durée actuellement en cours de réalisation. L’une d’elle s’est amorcée en 2008 sur les terres du CÉROM, à Saint-Mathieu-de-Beloeil, en Montérégie. La gestion des parcelles est sous la responsabilité directe du CÉROM, qui en assume aussi les coûts annuels de fonctionnement. La conception de l’essai est le fruit d’un travail conjoint avec des partenaires du MAPAQ, d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, de quelques universités et du CÉROM.
 

Les facteurs retenus

L’essai implanté au champ comporte quatre grands facteurs : le travail du sol (TS), la rotation (ROT), la fertilisation (FER) et la gestion des résidus de culture (RES). À ces quatre grands facteurs s’ajoutent aussi toutes les interactions pouvant jouer entre ces facteurs qu’elles soient simples, doubles ou triples. La présence d’interactions significatives entre un ou plusieurs facteurs rend beaucoup plus complexe l’interprétation des données. Or, il est bien connu que le monde du vivant est complexe et que l’interaction entre les facteurs nous permet de mieux en appréhender ses subtilités. Comme le dit l’expression, le diable est dans les détails.
 

Le travail du sol et les rotations

Nous avons retenu deux niveaux de travail du sol (TS). Le premier travail de sol était de type conventionnel, comportant un labour à l’automne à 20 cm de profondeur après la récolte des cultures, suivi de passages d’un vibroculteur avant le semis au printemps suivant. Le second travail du sol consistait au semis direct. Le passage d’un tasse-résidus était réalisé l’automne précédent pour les cultures de maïs-grain et de soya qui étaient ensemencées en rangs espacés de 76 cm.

Quatre niveaux ont été retenus pour le facteur rotation (ROT). Une première rotation de trois ans comportait la séquence maïs-grain, soya et blé de printemps (R1). La seconde rotation en était une de six ans : maïs-grain, soya, blé de printemps, prairies, prairies, prairies (R2). La troisième rotation consistait en du maïs-grain en continu (R3). Et enfin, la dernière rotation était constituée d’une prairie en continu (R4). Cette prairie était renouvelée à tous les trois ans pour pallier des survies hivernales régulièrement déficientes.

La fertilisation et la gestion des résidus

Trois niveaux de fertilisation (FER) ont été ciblés. Une première fertilisation basée uniquement sur l’utilisation d’engrais minéraux de synthèse et identifiée par « fertilisation minérale (MIN) ». Les doses retenues étaient basées sur les recommandations du CRAAQ (2003, 2010) pour chacune des cultures visées. Le second niveau de fertilisation était identifié comme étant une « fertilisation organique (ORG) ». Le type de fumure organique a varié au cours des années et l’apport en éléments fertilisants était estimé selon les coefficients du CRAAQ (2003, 2010). Les différences des besoins en fertilisants déterminés selon les grilles de référence en fertilisation du CRAAQ et les apports calculés des fumures organiques étaient apportées sous forme minérale. Le dernier niveau de fertilisation ne comportait « aucune fertilisation (AUC) » et était désigné comme tel. Ce niveau permettait, entre autres choses, d’estimer la contribution du sol aux cultures.

Enfin, deux niveaux ont été retenus pour la gestion des résidus de culture (RES). Un premier niveau consistait à intégrer (INT) les résidus de culture au système tandis que le second consistait à exporter (EXT) ces résidus de culture du système.
Implantation de l’essai au champ

Selon les niveaux de chacun des facteurs retenus, il existait donc 48 combinaisons potentielles entre tous ces facteurs. Puisqu’il n’y avait pas d’intégration des résidus possibles dans le cadre de la rotation des prairies en continu, il ne restait alors que 39 combinaisons de facteurs possibles. Pour ce type d’expérimentation, il est généralement conseillé de réaliser de trois à cinq répétitions de l’ensemble des combinaisons possibles. Nous avons convenu de réaliser quatre répétitions des 39 combinaisons possibles pour un grand total de 156 parcelles ou unités expérimentales.

La dimension de chacune des parcelles devait permettre l’utilisation des divers équipements agricoles nécessaires à cette expérimentation. En tenant compte de toutes les contraintes techniques, nous avons déterminé que des parcelles de 6 m de largeur et de 20 m de longueur feraient l’affaire. Une superficie totale de 4,5 ha a été déterminée comme nécessaire à la réalisation adéquate de l’essai afin de permettre la circulation des équipements autour et entre les parcelles.

Les 39 traitements ne pouvaient pas être distribuées au hasard dans chacun des blocs ou répétitions de l’essai. Par exemple, un labour ne peut être exécuté convenablement sur une surface restreinte de 6 m par 20 m. De même, il est difficile de réaliser des traitements herbicides sur des parcelles adjacentes de blé et de maïs avec des produits qui ne sont pas compatibles pour les deux cultures. De plus, il serait pratiquement impossible d’éviter de la dérive d’herbicides si les cultures changeaient continuellement à tous les 6 m. Des aménagements ont donc été déployés pour résoudre ces contraintes techniques qui pouvaient compromettre la validité des résultats de l’étude.

La plus grande contrainte était celle associée à la régie. Nous avons donc implanté les parcelles de régie en grandes parcelles continues qui regroupaient 18 unités expérimentales sur une superficie de 6 m de largeur par 108 m de longueur. La deuxième contrainte était celle des cultures associées aux rotations. Nous avons donc regroupé les six parcelles d’une même rotation dans chacune des régies pour les trois premières rotations (R1, R2, R3). Ces groupes de parcelles de rotation mesuraient 36 m de longueur par 20 m de largeur. Enfin, les niveaux de fertilisation et de gestion des résidus étaient distribués de manière aléatoire à l’intérieur des six parcelles d’une même rotation. Les trois parcelles de la dernière rotation, soit les prairies permanentes, étaient distribuées au hasard à côté des grands blocs des régies.
 

Les statistiques

Pour ceux qui ne sont pas intéressés par les dispositifs expérimentaux et les statistiques, nous vous conseillons de passer au prochain paragraphe. Pour les intéressés, le type de dispositif utilisé dans cet essai correspond à un split-split factorielle répété quatre fois (blocs) où les régies correspondent au premier split, les rotations au deuxième split et la factorielle correspond aux combinaisons des trois niveaux de fertilisation et des deux niveaux de gestion des résidus qui sont distribuées au hasard. Toutes les analyses statistiques et toutes les interprétations des résultats doivent absolument tenir compte de ce dispositif pour qu’elles soient considérées valides.
 

Caractéristiques du sol à l’étude

L’étude a été réalisée de 2008 à 2017 sur un sol de type loam argileux de la série Saint-Urbain, située sur les terres du CÉROM, à Saint-Mathieu-de-Beloeil. De 2003 à 2007, soit les cinq années avant l’implantation de l’essai, le sol était ensemencé avec du maïs-grain (3 ans) ou du soya (2 ans). En 2008, la richesse du sol en phosphore était de 113 kg/ha mehlich-3 avec une saturation en P/Al de 4,7 %. Le sol était excessivement riche en potassium avec une concentration de 1 010 kg/ha, ce qui se traduisait par une recommandation de 0 kg/ha pour la fertilisation potassique pour toutes les cultures utilisées. Le pH eau était à 7,0 et le contenu en matière organique de 5,1 %. Rappelons que la fertilisation de chacune des cultures respectaient les grilles de recommandation du CRAAQ (2003; 2010).

Les conditions de croissance

Les cultivars et les hybrides utilisés ont varié tout au long des dix années de l’expérimentation et ils étaient bien adaptés aux conditions de croissance de la Montérégie. À l’instar des grandes cultures de beaucoup de producteurs, les cultivars de soya et les hybrides de maïs-grain étaient généralement résistants au glyphosate.

Les conditions météorologiques rencontrées au cours de ces dix saisons ont été très variables. Les années 2009, 2011 et 2014 ont été particulièrement difficiles sur le plan météorologique pour les cultures. Ces trois années de cultures ont généralement été marquées par des accumulations moindres en unités thermiques pour la croissance des plantes. De plus, des conditions fraîches et humides retardant les semis ont marqué le début des saisons 2009 et 2011.

La date moyenne de semis du maïs a été le 13 mai, variant du 5 au 18 mai selon l’année. Pour le soya, les semis ont été réalisés en moyenne le 17 mai, s’étalant du 7 mai au 3 juin, selon les conditions annuelles printanières. Le blé a été ensemencé dès que les conditions au champ le permettaient, soit entre le 15 avril et le 15 mai, selon l’année. Les prairies étaient ensemencées avec le blé comme plante abri. Les densités finales visées ont été de 80 000 et de 350 000 plants/ha respectivement pour le maïs-grain et le soya et de 425 plants/m2 pour le blé de printemps.

Nous présenterons les résultats des dix premières années de l’essai dans le cadre d’une série d’articles qui paraîtront sur ce blogue.
  Lire le billet précédent                                                                         Lire le billet suivant