Le cas des fongicides foliaires en grandes cultures

Le 11 février dernier, j’offrais une présentation à la journée INPACQ en grandes cultures à Drummondville. Il s’agissait d’une présentation sur les analyses économiques que l’on a effectuées récemment à l’IRDA sur différentes pratiques, mais particulièrement au sujet des engrais verts et des fongicides foliaires. À mon départ de Québec au matin, les conditions routières qui s’annonçaient devaient me commander la prudence. Les résultats que j’allais présenter plus tard en journée devaient m’en commander tout autant. Pourquoi ? Parce que j’allais y affirmer que l’utilisation des fongicides foliaires en grandes cultures présente que peu de perspectives de rentabilité. Le genre de conclusions qu’on ne peut pas lancer à la légère car elles peuvent bousculer certaines idées établies.
 
L’analyse économique que nous avons réalisée sur le sujet à l’IRDA utilisait les résultats agronomiques des essais menés par Sylvie Rioux1 et Gilles Tremblay du centre de recherche sur les grains CÉROM. Dans le maïs-grain et le soya, la technique de la budgétisation partielle a été utilisée pour mesurer la rentabilité. Dans le maïs-grain, seulement trois des 13 traitements comparés procuraient un solde du budget partiel supérieur à 0 $/ha. Dans le soya, la rentabilité des fongicides foliaires est encore moins convaincante car là aussi seulement trois traitements ont offert un solde positif mais cette fois-ci, sur un total de 32 traitements comparés. L’analyse a permis de calculer les seuils de rentabilité de l’utilisation des fongicides foliaires dans les deux cultures. Dans le maïs-grain, alors que les résultats agronomiques montraient qu’en moyenne les rendements étaient supérieurs de 1,4 % lorsque des fongicides étaient appliqués, il fut établi qu’il faudrait plutôt des rendements de 2,7 % supérieurs pour rentabiliser ces applications. À nouveau, l’utilisation des fongicides dans le soya est encore plus difficile à rentabiliser puisqu’un rendement moyen plus élevé de 3,5 % est nécessaire, alors que le gain moyen est en réalité de 0,6 %.
 
Pourquoi les producteurs de grandes cultures utiliseraient donc des fongicides foliaires si les perspectives de rentabilité ne sont pas au rendez-vous ? Mauvaise décision de leur part ? Non, pas nécessairement. Dans la littérature en économie agricole, les pesticides sont traités comme un intrant de production qui n’augmente pas le potentiel de rendement mais qui protège ce potentiel. Bien théorique tout ça me direz-vous. D’accord, mais l’impact concret est que les pesticides deviennent alors un outil de gestion du risque et leur niveau d’utilisation dépend beaucoup de la tolérance au risque de chaque producteur. Comme on sait que les agriculteurs comptent parmi les chefs d’entreprises ayant à gérer le plus de risques d’affaire (climat, marché, etc.), on peut donc expliquer par ce facteur l’utilisation de pesticides à des niveaux qui ne sont pas optimaux. Par ailleurs, certains producteurs affirmeront qu’ils observent des rendements plus élevés de leurs cultures lorsqu’ils appliquent des fongicides foliaires. Soit, mais la réelle question à se poser est plutôt : « Est-ce que le gain de rendement a suffi pour couvrir le coût du pesticide et de son application ? »

1. Évaluation de fongicides dans les cultures de céréale à paille en stations expérimentales, Sylvie Rioux, CÉROM