Les pionniers de l'hybridation de la vigne pour régions à climats froids en Amérique du Nord

LES PIONNIERS DE L'HYBRIDATION DE LA VIGNE POUR RÉGIONS À CLIMAT FROID D'AMÉRIQUE DU NORD:

 

Dans notre billet précédent, nous avions décrit le processus d’hybridation nous ayant permis d’avoir, aujourd’hui, au Québec, des cépages résistants naturellement aux très grands froids ainsi qu'aux maladies, et dont la période de maturité est adaptée aux climats des régions à climat froid.


Dans ce billet, nous allons nous intéresser aux principaux hybrideurs nord-américains qui ont créé, ou participés par leurs travaux, à la création des principaux cépages qui ont ouvert la voie à la culture du raisin de table au Québec.

 

Depuis la nuit des temps, même sans avoir une grande compréhension de la biologie et de la génétique de la fleur de la vigne, des générations de viticulteurs ont intuitivement eu l’idée de sélectionner leurs meilleurs cépages pour développer de nouveaux vignobles regroupant leurs meilleures vignes.

C’est ainsi que naturellement, certains viticulteurs nord-américains passionnés et désireux de parvenir à faire pousser des vignes donnant des raisins de grande qualité, dans les régions du Nord du pays où le climat était naturellement peu propice à la culture de la vigne, ont participé, grâce à leurs travaux, à l’élaboration de cépages hybrides résistants aux très grands froids nord-américains.

 

Nous allons tout particulièrement nous intéresser ici, à une chaîne très spécifique d’hybrideurs Américains; chacun d'entre-eux ayant basé son travail sur celui de ses prédécesseurs, ils sont ainsi parvenus, génération après génération, à développer des cultivars de très grande qualité, et résistants naturellement aux très grands froids. Ces cépages ont été bien plus tard, les tout premiers à être arrivés au Québec vers la fin des années 1990. C'est grâce à eux que la culture du raisin de table devint réalistiquement envisageable au Québec.

 

 

Le point de départ de cette chaîne se situe vers le milieu du 19ème siècle au Massachusetts avec un illustre personnage: Éphraïm Bull (1806-1895) :

 

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Ephraim Bull se tenant devant le plant de Concord Original vers 1843

photo (DR)

 

Éphraïm Bull était un passionné de la vigne. Vers 1843 il planta des graines de Vitis labrusca sauvage qu’il trouva à proximité de chez lui. Après avoir cultivé les plants ainsi obtenus pendant 6 années, puis évalué la production de plus de 22 000 de ces plants, il estimera avoir trouvé ce qu'il considérera comme le raisin parfait. Il nommera le cépage Concord, en référence à la localité dans laquelle il fut créé. Le cépage fut unanimement reconnu, tant par le grand public, pour ses qualités gustatives et notamment pour la qualité du jus que ce raisin produit (Jus Welch qui deviendra bien plus tard un des jus les plus populaires chez les Américains), que par la communauté horticole, notamment pour sa capacité à résister aux hivers des régions de la Nouvelle-Angleterre. Ce raisin, très vite adopté en Ontario a longtemps été commercialisé au Canada comme raisin de table jusqu’à son remplacement par une variété sans pépins, le Sovereign Coronation.

 

 

Vers 1870, au Minnesota, Louis Suelter, un immigré allemand, créa, par hybridation, un autre cépage qui restera dans l’Histoire de la viticulture: le Bêta; résultant du croisement entre le Concord de Bull et la vigne sauvage Vitis Riparia que l’on trouvait à Carver County dans le Minnesota. Le Bêta, sera alors largement implanté dans le Minnesota au début du 20ième siècle et fera plus tard office de cépage de base pour de nombreuses hybridations réalisées par l’université du Minnesota. Cette variété est plus rustique et plus hâtive que le Concord, ce qui permet de la cultiver dans des régions plus nordiques.

 

Un autre illustre viticulteur et pionnier de l’hybridation, dont l’influence sera majeure pour les futures générations d’hybrideurs, est Thomas V Munson (1843-1913). Bien qu’aucun de ses hybrides n’ait survécu, il travailla beaucoup à partir des années 1880, à partir des vignes sauvages américaines. Toutes ses recherches furent consignées dans un livre de référence: “Foundations of American Grape Culture”. Ce livre aura une influence majeure et déterminante sur le plus célèbre des futurs hybrideurs Américains: Elmer Swenson (voir plus bas)

 

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TV Munson et son livre Foundations of American Grape Culture vers 1880 - crédits photo (DR)

 

En parallèle, la science commença également à s’intéresser de plus près à ce phénomène d’hybridation; ainsi se développèrent de réels programmes scientifiques d’hybridation dans les universités américaines; notamment l’Université du Minnesota, avec laquelle collabora très étroitement Elmer Swenson. Entre les années 1920 et 1940, l’Université du Minnesota utilisera largement le Bêta de Suelter comme base pour ses hybrides. De ces croisements naîtra notamment un cépage resté sans nom, et connu par la désignation de Minnesota 78; Elmer Swenson, partira lui-même de ce cépage pour la création de certains de ses hybrides.

 

 

 

Elmer Swenson (1913-2004) :

 

Surnommé “le père de la viticulture dans les régions à climat froid”, Elmer Swenson est l’hybrideur qui aura sans nul doute le plus marqué le monde de l’hybridation de la vigne pour les régions à climat froid.

Après des années d’expérimentations et d’études de la part de ses prédécesseurs, Elmer Swenson reprit le flambeau de l’hybridation et en repoussa les limites. C’est la lecture du livre de TV Munson Foundations of American Grape Culture découvert chez grand-père qui lui insuffla initialement cette passion pour la vigne. Son travail sera décisif et fera l’unanimité. Son obsession était de créer des cépages adaptés aux climats très froids, et donnant des fruits d’une très grande qualité. La vigne devait résister aux durs hivers nord-américains, les raisins devaient être d’excellente qualité, et la maturité de ceux-ci devait être adaptée aux conditions climatiques du nord du Midwest Américain.

N'étant pas lui même un grand amateur de vin, Swenson orienta, dans un premier temps, son travail vers l’hybridation de cépages de raisin de table.

 

Il créa ainsi des milliers de cultivars – on compte 650 variétés répertoriées issues de ces milliers d’essais- à la recherche de cépages toujours plus résistants aux maladies, ainsi qu’aux grands froids des régions du nord de l’Amérique. Son travail en fera la figure de référence dans le monde de l’hybridation de la vigne pour les régions à climat froid.

 

 

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Elmer Swenson dans son vignoble (photo DR)

 

Au Québec, les premiers cépages de raisin de table adaptés aux climats québécois ayant été implantés vers la fin des années 1990, provenaient quasi exclusivement du vignoble d’Elmer Swenson. Ils furent importés chez nous par un des pionniers de la viticulture québécoise, Alain Breault.
 

Aujourd’hui encore, une grande partie des cépages de raisin de table utilisés actuellement, sont des hybrides créés par M. Swenson: Somerset, Brianna, Trollhaugen, Swenson White, Kay Gray, Montreal Blues.

 

Le travail de ces pionniers -et de beaucoup d’autres à travers le monde- a permis la création d’une multitude de cépages que l’on appelle “rustiques”; ce sont des cépages qui non seulement sont adaptés aux conditions climatiques des régions dans lesquelles ils sont implantés, mais également dont la maturité est adaptée au climat de ces régions (le raisin devant arriver à maturité avant les premiers risques de gels en automne).

 

Et c’est ainsi que, bien que tardivement, le raisin de table finit par faire son apparition dans le paysage horticole Québécois. Il s'y est depuis solidement ancré, et fait désormais parti de notre patrimoine. Il commence même à s'exporter bien au-delà des frontières de notre province, pour notre plus grand Bonheur... et notre grande fierté!

 

 

Photo#1: tous droits réservés

Remerciements particuliers à Claude Gélineau (professeur en culture légumières et fruitières à l'Institut de Technologie Agroalimentaire de La Pocatière. Il travaille sur le raisin de table depuis 2006) pour sa relecture, ses précieuses suggestions et ses précisions apportées au texte.

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Source:   

1.      Annual Report of the U.S. Agricultural Experiment Station for South Dakota

By U.S. Agricultural Experiment Station for Dakota (page 27)

https://books.google.ca/books?id=Y7JFAQAAMAAJ&pg=RA7-PA27&lpg=RA7-PA27&dq=louis+suelter+beta&source=bl&ots=cBiPHp0AQJ&sig=fuUZXKWtanlsOrF-2Ap_9ojtNvM&hl=en&sa=X

 

MInnesota Grape Growers Association:

http://www.winemanager.com/slarsen/Gb2010/Articles/Vitigen/two_betas_1.pdf

 

Annual Report of the U.S. Agricultural Experiment Station for South Dakota

https://books.google.ca/books?id=Y7JFAQAAMAAJ&pg=RA7-PA27&lpg=RA7-PA27&dq=louis+suelter+beta&source=bl&ots=cBiPHp0AQJ&sig=fuUZXKWtanlsOrF-2Ap_9ojtNvM&hl=en&sa=X&ved=0ahUKEwiNmpTE87vRAhXCTCYKHRE0BSUQ6AEILjAD#v=onepage&q=louis%20suelter%20beta&f=false

 

American National Biography Online:

http://www.anb.org/articles/13/13-02675.html

 

“Grape Research in Minnesota” by Penelope Krosch in Agricultural History,1988

http://www.jstor.org/stable/3743298

 

Publication of Bruce Smith: History of the early Swenson Hybrids for the University of Nebraska–Lincoln

 

TV Munson - Foundation of American Grape Culture:

https://archive.org/stream/foundationsofame00munsrich#page/94/mode/2up

 

https://archive.org/details/cu31924003694084