Maïs-grain: pourquoi encore parler d’azote en 2019 ? (2/5)


Pour débuter, rappelons-nous de quelques résultats présentés lors de la publication de la première partie de ce blogue. Dans la très grande majorité des 344 essais réalisés de 1997 à 2017, l’ajout d’azote minéral au maïs-grain n’a pas permis d’augmenter le poids spécifique des grains. De même, l’ajout d’azote n’a pas permis de réduire la teneur en eau des grains. Par contre, le maïs-grain répondrait de façon de plus en plus significative à la fertilisation minérale azotée. En effet, la proportion des essais où l’azote a des effets significatifs sur les rendements en grains a augmenté de près de 1 % annuellement au cours des 21 dernières années, en passant de 63 à 83 %.

Relation entre la dose économique optimale (DÉO) et le rendement à la DÉO
Le potentiel de rendement d’un sol influence-t-il la DÉO ? Nos résultats n’indiquent aucun lien significatif entre ces deux variables. Autrement dit, des rendements élevés ne sont pas automatiquement associés à de fortes doses d’azote, ni de faibles rendements à de faibles doses d’azote. Par contre, l’obtention de rendements élevés se traduit inévitablement par des exportations en éléments nutritifs plus importants qui ne proviennent pas nécessairement des engrais, mais aussi du sol. Ces observations correspondent aux conclusions de la plupart des recherches effectuées sur ce sujet en agriculture.

Afin d’aider à l’analyse des résultats, nous avons retenu les résultats de cinq essais où les rendements obtenus étaient environ de 15 tonnes de grains/ha. Les DÉO de ces cinq essais ont été respectivement de 50, 100, 150, 200 et 250 kg N/ha. De faibles DÉO associées à de bons rendements indiquaient que le sol était le principal fournisseur d’azote. Des DÉO croissantes pour des rendements similaires indiquaient que la culture répondait de plus en plus à l’ajout d’azote sous forme minérale à ces sites d’essais. Pour des rendements similaires, des DÉO croissantes de 50 à 250 kg N/ha indiquaient que le sol contribuait de moins en moins à la fourniture d’azote à la plante. De manière générale, plus les doses économiquement optimales augmentaient, moins le sol contribuait au rendement. Ce dernier constat pourrait être associé à la santé des sols. En effet, plusieurs recherches ont démontré qu’un sol en santé et bien pourvu en azote pouvait fournir plus des deux tiers des besoins en N des cultures tandis qu’un sol peu fertile ou compacté montrant un faible potentiel de minéralisation ne pouvait fournir que moins d’un tiers des besoins en N des cultures.

L’utilisation de l’azote par la plante et son comportement dans le sol sont toutefois complexes. La minéralisation de l’azote dans le sol est influencée par plusieurs facteurs dont : la source de fertilisants organiques ou minéraux, la rotation des cultures, les méthodes culturales, les teneurs en matière organique du sol et les résidus apportés, la texture et la structure du sol, le pH et les conditions pédoclimatiques.

Distribution des DÉO
En poursuivant l’analyse des résultats, nous constatons qu’il n’y avait que 35 % des essais qui se retrouvaient dans l’intervalle de la recommandation générale de 120 à 170 kg N/ha. Une proportion équivalente, soit 35 %, correspondait à des DÉO supérieures à 170 kg N/ha. Les derniers 30 % correspondaient aux cas ou les DÉO étaient inférieures à 120 kg N/ha. Selon les données recueillies à partir de 344 essais structurés réalisés de 1997 à 2017, il n’y avait donc que 35 % des cas qui se retrouvaient dans l’intervalle de la dose générale recommandée variant de 120 à 170 kg N/ha. Dans la majorité des cas (65 %), il aurait été préférable de mettre plus (35 %) ou moins (30 %) d’azote pour atteindre la DÉO. Basé sur ce constat, beaucoup de travail reste à faire pour améliorer nos recommandations d’azote chez le maïs en tenant compte des facteurs locaux.

Évolution des rendements et des DÉO
La poursuite de l’analyse des données indique que les rendements en grains ont progressé annuellement de 246 kg/ha. Cette progression est équivalente à celle observée dans le cadre des essais maïs du Réseau des grandes cultures du Québec (RGCQ) qui était de 241 kg/ha durant la même période, soit celle de 1997 à 2017. Ces valeurs sont supérieures à celles de l’ISQ (Institut de la statistique du Québec) qui estime cette progression annuelle à 165 kg/ha. Bien que l’augmentation annuelle des rendements de maïs semble surestimée par le RGCQ ou par les observations de nos essais, le sens et l’intensité des variations sont toutefois très bien reliés à celles de l’ISQ. De 120 unités d’azote à l’hectare en 1997, la dose économique optimale moyenne aurait progressé de plus de 2,8 unités annuellement et serait maintenant à près de 180 kg N/ha. Au cours des 20 dernières années, la dose économique optimale moyenne serait donc passée de la plus petite dose recommandée par le CRAAQ (120 kg N/ha) à une dose de 180 kg N/ha soit une dose plus élevée que la dose recommandée la plus élevée qui est de 170 kg N/ha. Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer ce phénomène : rotations des cultures plus courtes, changements climatiques, détérioration de la structure des sols, compaction, hybrides plus performants, diminution du contenu en matière organique des sols, etc. Finalement, selon les résultats de notre étude, il est intéressant de constater que les densités de peuplement ont progressé annuellement de 550 plants/ha, passant de 71 000 à 82 000 plants/ha entre 1997 et 2017.

Facteur de productivité
Comme nous l’avons constaté précédemment, il n’existe pas de relation significative entre les doses économiques optimales et les rendements obtenus. Les données forment un nuage de points sans tendance à la hausse ou à la baisse. Il est possible de transformer ce nuage de points en une relation qui nous permette d’apprécier ces informations à leur juste valeur. En effet, en divisant chacun des rendements en grains par la dose économique optimale correspondante, nous obtenons une variable que l’on appelle le «facteur de productivité» (kg N/t grains). Ce facteur donne la quantité d’azote nécessaire pour produire chaque tonne de maïs à la dose économique optimale calculée, et ce, pour chacun des essais. Le nuage de points se transforme alors en une relation linéaire des plus intéressantes. Selon cette relation, un sol ayant une DÉO de 50 kg N/ha exigerait 5 kg N pour chaque tonne produite, quelle que soit le rendement obtenu. De même, des sols ayant des DÉO de 100, 150, 200 et 250 kg N/ha, auraient respectivement des facteurs de productivité de 9, 13, 17 et 21 kg N/t. Nous sommes à même de constater que lorsque les DÉO augmentent, les besoins en azote pour produire chaque tonne de maïs-grain augmentent aussi. Ce constat pourrait aussi se traduire ainsi : l’efficacité du maïs à produire du rendement en grains diminue à mesure que la DÉO augmente. Selon cette nouvelle approche d’analyse, le facteur de productivité associé à l’intervalle de recommandation générale de 120 à 170 kg N/ha pour le maïs varierait de 11 à 15 kg N/t. En analysant l’ensemble des 344 essais, nous pouvons conclure que 57 % des essais ont des facteurs de productivité de 10 à 20 kg N/t, 33 % se situent sous la barre des 10 kg N/t et seulement 10 % exigent plus de 20 kg N/t. Donc, 90 % des essais réalisés ont des facteurs de productivité inférieurs à 20 kg N/t. Les facteurs de productivité retrouvés dans notre étude sont similaires à ceux déduits d’autres études réalisées au Québec au cours de la décennie 2000.

Évolution historique des facteurs de productivité
Afin de raffiner notre analyse du facteur de productivité, nous avons subdivisé la période de 21 ans à l’étude en trois tranches de sept années chacune. Cette approche nous a permis d’effectuer des constats très intéressants. De 1997 à 2003, toute augmentation d’une unité de la DÉO se traduisait par une augmentation du facteur productivité de 0,11 kg N/t. De 2004 à 2010, ce taux était de 0,09 kg N/t. Enfin, de 2011 à 2017, il était de 0,07 kg N/t. Donc, de la période 1997-2003 à celle de 2010-2017, les quantités d’azote nécessaires pour produire chaque tonne de grains ont baissé de 0,04 kg N/t pour chaque augmentation d’une unité de la DÉO. Prenons un exemple concret pour imager cette affirmation.

Pour des essais ayant une DÉO de 150 kg N/ha au cours de la période 1997-2003, on avait besoin en moyenne de 16,2 kg N pour produire une tonne de grains. Au cours de la période 2004-2010, cette quantité est passée à 13,5 kg N/t. Puis, les besoins ont baissé à 11,9 kg N/t au cours de la période 2011-2017. Les besoins en azote pour produire une tonne de grains de maïs ont donc baissé de 30 % au cours des 21 dernières années. Cette amélioration de l’efficacité à produire plus de grains avec moins d’azote pourrait être le résultat de l’amélioration génétique réalisée sur cette espèce au cours des 20 dernières années. L’analyse des données telle que nous l’avons réalisée pour le moment ne permet toutefois pas de confirmer cette hypothèse. Rappelons-nous que les densités de peuplement ont progressé en moyenne de 550 plants/ha au cours de la même période. Cette progression réalisée au point de vue de la régie du maïs pourrait aussi expliquer, en partie, l’augmentation de l’efficacité de l’azote dans la production du maïs -grain au Québec.

Résultats d’autres études québécoises
Des études québécoises sur la réponse de l’azote au maïs réalisées entre 2002 et 2010 ont été publiées par Nyiraneza et al. en 2010  (62 essais) et par Kablan et al. en 2017 (45 essais). Ces études ont conclu que les DÉO moyennes variaient de 171 à 175 kg N/ha. Ces valeurs correspondaient à peu de chose près à la recommandation maximale du CRAAQ (2010) de 170 kg N/ha. En regroupant les essais de 2004 à 2010 de la présente étude (169 essais), nous obtenons une dose économique optimale moyenne de 145 kg N/ha, soit une dose moyenne inférieure aux deux études québécoises. Toutefois, en ne considérant que les essais les plus récents, soit de 2011 à 2017 (107 essais), cette valeur passe à 163 kg N/ha. Il y a de très grandes variations autour de ces doses économiques moyennes puisque les écarts-type varient de 40 à 66 kg N/ha selon les études, indiquant un fort impact de facteurs locaux. Dans le prochain texte de ce blogue (3/5), nous analyserons les données recueillies en adoptant l’approche des bilans.

Gilles Tremblay, agronome, MAPAQ, Saint-Hyacinthe
Léon-Étienne Parent, agronome, professeur émérite, Université Laval

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