Drainage : la grande mystification

Le drainage souterrain n’a qu’une seule fonction : abaisser la nappe phréatique. La présence de flaques d’eau persistantes à la surface d’un champ n’est pas un problème d’eau souterraine, ni même un problème tout court : il s’agit d’un symptôme. Pour identifier le problème et ses causes, il n’y a pas de raccourci : il faut procéder à un diagnostic. Bien que ce diagnostic ne nécessite que quinze minutes par champ (voir encadré), peu de producteurs prennent le temps de le faire.

À la défense de ces producteurs, on peut dire qu’en dehors de quelques ingénieurs du MAPAQ  et de certains clubs-conseils en agroenvironnement CCAE, l’expertise en drainage au Québec est rare. Je ne parle pas ici de la capacité à calculer l’écartement entre les drains, mais de la compétence requise pour répondre à la question : « Ai-je besoin de drains dans mon champ? ». Et quand on réussit à obtenir de l’aide, l’ingénieur a souvent recours à un trou à la tarière (de diamètre intérieur de quatre pouces), ou des observations de piézomètres (deux pouces). Or, même en isolant les puits de bentonite, ça prend vraiment un œil expert pour voir d’où provient l’eau avec ces équipements qui ne devraient servir qu’à l’étape ultérieure de détermination de la conductivité hydraulique et de l’écartement des drains. Mes expériences en champs m’ont démontré que les « suivis de nappe » réalisés à partir de dispositifs de piézomètres ne font aucune différence entre le front de migration de l’eau de surface et la nappe d’eau souterraine véritable.

Par voie de conséquence, peu nombreux sont les intervenants en mesure d’aider le producteur à  distinguer eau de surface et eau souterraine.

Un test très simple
  1. Creusez. Préférablement avant les semis, à l’aide d’une pelle ronde (photo), effectuez un ou deux trous de 30’’ de profond dans le sol
  2. Observez. Il y a trois possibilités : a) il n’y a pas d’eau qui entre dans le trou; b) de l’eau entre dans le trou, et elle provient de la surface ou des parois du trou; c) de l’eau remplit graduellement le trou à partir du fond.
  3. Réfléchissez. Il n’y a que lorsque l’eau remplit le trou à partir du fond et finit sa remontée à moins de 24’’ (60 cm) de la surface que le drainage souterrain devrait être envisagé ou, dans les cas de champs déjà drainés, débouché ou réparé. On considère alors que la nappe est trop haute pour les racines et qu’elle  devrait être rabattue par les drains.

On recommande de réaliser ce test tôt au printemps, car c’est la période de l’année où les nappes sont les plus élevées, mais n’importe quand dans la saison on peut déterminer, par la présence de marbrures (taches de rouille) surmontant un horizon complètement gris, la hauteur maximale de la remontée de la nappe.

Plus souvent qu’autrement, le diagnostic aboutira à un problème d’infiltration causé soit par la compaction, soit par la pulvérisation des agrégats. Un sol bien structuré, c’est-à-dire poreux et dont les particules sont assemblées en agrégats stables, peut « boire » jusqu’à 3 à 4 pouces d’eau par jour. Davantage encore si ce sol est encore vierge (sous couvert forestier, non cultivé). À la suite des cultures intensives, des travaux en mauvaise condition, ou encore après le nivellement, la vitesse d’infiltration de la surface n’est plus que de 1/8 à ¼ de pouces d’eau par jour. Quant à la porosité occupée par l’air, elle devient alors inférieure à 10 % alors qu’un sol en santé devrait contenir 25 % de son volume en macroporosité. C’est ce que l’on mesure fréquemment en Montérégie. Dans ces conditions, on peut comprendre pourquoi les pluies de 1 à 2 pouces prennent un certain temps à infiltrer le sol. Il faut faire attention à ne pas circonscrire le problème aux cuvettes, car une grande proportion de l’eau qui s’accumule dans les bas de pente et les cuvettes provient des zones plus élevées dans le champ, où l’infiltration a aussi été ralentie.

Comme mentionné au début de ce texte, la plupart du temps les producteurs ne prennent malheureusement pas le temps de poser un diagnostic. On constate qu’un champ s’égoutte de plus en plus lentement et on entreprend alors sans hésiter des travaux de nivellement ou de drainage. Dans le cas d’infiltration lente, confirmée par un diagnostic, ni le drainage ni le nivellement ne sont des solutions appropriées.
 
Printemps 2017 : flaques dans les baissières
 Printemps 2017 : flaques dans les baissières, horizon de surface (0-8’’) saturé d’eau, sol sec de 10’’ à 30’’, aucun signe de nappe d’eau. Le producteur constate qu’il n’aura pas besoin de drainage, mais décide malgré tout de drainer systématiquement. Pourquoi? Il est admissible à une subvention!
 
Pourquoi les drains ne sont pas une solution à un problème d’infiltration?
Si on pose de nouveaux drains dans un champ qui souffre d’une infiltration déficiente, il est à peu près certain que, dès le printemps suivant, on verra une amélioration : les accumulations d’eau auront disparu, l’eau ayant rejoint latéralement et suivi par gravité les fissures créées par la draineuse. Ce faisant, on aura évacué le surplus d’eau et, selon la pluviométrie de la saison suivante, les rendements seront certainement supérieurs à ceux obtenus avant le drainage. Autrement dit, on aura corrigé le symptôme (à grand frais), mais le problème fondamental demeurera : la structure de sol restera intacte, dans son état de dégradation. On ne retrouvera pas la productivité réelle de ce champ tant et aussi longtemps que la structure ne sera pas améliorée. On aura sorti une quantité d’eau qui aurait été essentielle lors d’une éventuelle sécheresse, sans avoir du tout amélioré la capacité de rétention en eau utile du sol. On aurait sans aucun doute obtenu les mêmes résultats en passant la draineuse sans poser de drains : un sous-solage de luxe!
 
En plus des coûts à l’installation, la pose de drains entraîne des coûts indirects importants : aménagement de nouveaux fossés, approfondissement de fossés existants, entretien du réseau, nettoyage des sorties et des canaux d’évacuation, délais administratifs (autorisations, etc.), érosion, etc. À cela s’ajoute des pertes de nutriments et de pesticides, parce que le problème d’infiltration n’aura tout simplement pas été corrigé.
 
Depuis l’installation des systèmes de drainage originaux, il y a 20, 30 ou 40 ans, les cycles de fluctuations de nappe n’ont pas changé beaucoup. En tout cas, ils ne remontent certainement pas au point de justifier de drainer à nouveau. En fait, les observations sur le terrain suggèrent plutôt le phénomène inverse : incluant 2017 (printemps très pluvieux) les nappes semblent régresser.
 
Pourquoi le nivellement n’est pas une solution à un problème d’infiltration?
Le nivellement tel qu’exécuté aujourd’hui vise principalement à évacuer latéralement l’eau prise dans les dépressions de surface. Dans la plupart des cas, le diagnostic à la pelle ronde révèle que la restriction du mouvement de cette eau n’est pas sur le plan horizontal, mais vertical.
 
Cette eau de surface, dont le volume est gigantesque à l’échelle du bassin versant, se  déverse vers les fossés, les cours d’eau et les plans d’eau. Elle viendra gonfler les crues et entraîner des coûts supplémentaires d’entretien et de réparation des berges, au lieu d’alimenter la nappe d’eau utile souterraine.
 
De plus, de par leur poids et leur mécanisme d’action sur la surface, les équipements utilisés pour le nivellement augmentent substantiellement les risques de compaction et vont pulvériser les agrégats du sol. Le résultat net sera une diminution additionnelle de l’infiltration, autrement dit l’accentuation du problème que le nivellement devait corriger. Encore une fois, on aura corrigé le symptôme et aggravé le problème.
 
En quoi le nivellement peut-il améliorer l’infiltration de l’eau de surface ?
En quoi le nivellement peut-il améliorer l’infiltration de l’eau de surface ?
 
 
La solution : une démarche à long terme
Une fois l’étape du diagnostic faite, si un problème d’infiltration et/ou manque de porosité est identifié, la solution appropriée coûte beaucoup moins cher que le drainage ou même le nivellement. Elle comprend une démarche : un ensemble de pratiques et d’actions agronomiques indissociables les unes des autres :
  • Accepter de remettre en question les pratiques culturales en place : poids de la machinerie, périodes d’interventions, rotations, choix des cultures;
  • Mettre de côté un ou quelques champs et les placer en « convalescence »  parce qu’ils nécessitent un traitement de sous-solage. Celui-ci doit être réalisé le plus possible en conditions de sous-sol sec. On ne devrait pas y semer de culture de pleine saison, et idéalement simplement une culture de couverture au printemps;
  • Dans les jours précédents le sous-solage, au besoin : chauler, épandre un engrais de ferme et semer une nouvelle culture de couverture tout juste avant le sous-solage. Si le champ est une prairie de fin de parcours à détruire, effectuer ce traitement au moins 4 semaines avant le sous-solage;
  • Lorsque le sous-sol aura atteint le degré d’asséchement maximal (qui peut survenir n’importe quand entre la mi-juillet et le début de septembre), procéder au sous-solage avec l’équipement approprié, qui permet notamment d’atteindre une profondeur d’au moins 10 cm sous le fond de l’horizon compact, selon le diagnostic;
  • On ne doit intervenir d’aucune façon après l’opération de sous-solage et attendre jusqu’au printemps suivant. Cela permet aux racines de la culture de couverture (idéalement une crucifère) de compléter le travail de fissuration et d’agrégation, et à l’eau de surface de pénétrer.
  • Intégrer des pratiques culturales préventives : suivi en continu de la qualité du sol, diversification de la rotation, intégration des cultures de couverture rustiques, respect de la portance du sol, limites de charge par essieu, réduction du travail du sol, contrôle du trafic, balancement et lestage des équipements, ajustements de la pression des pneus.  
À la différence de la pose de drains et du nivellement, qui produisent un effet à court terme sur le symptôme, cette solution agronomique corrige graduellement le problème de façon durable et rentable.
 
Remarquez que le diagnostic peut très bien identifier d’autres problèmes : pulvérisation (absence de structure), écoulement hypodermique, nappe d’eau élevée (ça arrive parfois), sources d’eau souterraine, etc. Cette démarche n’est proposée qu’à titre d’exemple ciblé en fonction d’un problème d’infiltration.
Vue de facePelle vue de face Vue de profilPelle vue de profil
Magnifique spécimen de pelle ronde très utile pour poser un diagnostic (L. Robert, collection personnelle). À gauche, une pelle vue de face et à droite, de profil. Au sommet : la poignée. C’est par ce bout-là qu’on l’utilise! smiley
Photo : Louis Robert, MAPAQ
 
Conclusion
La fuite en avant que représente le recours au drainage souterrain pour tenter de corriger un problème d’infiltration continuera dans les années à venir à contribuer au gonflement des crues printanières et autres débordements, tout en privant les cultures d’une énorme quantité d’eau utile durant les périodes sèches (de plus en plus fréquentes) où elles en auront besoin.

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