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Doit-on adapter sa fertilisation en semis direct ?

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Au cours des 20 dernières années, de nombreux producteurs ont fait la transition des méthodes conventionnelles du travail du sol, généralement basé sur le labour, vers des méthodes de travail minimal du sol allant jusqu’au semis direct. Certains prétendent que la réduction de l’intensité du travail du sol permet de diminuer les besoins de fertilisants en éléments majeurs comme l’azote, le phosphore et le potassium (NPK) des cultures tandis que d’autres prétendent exactement le contraire. Qui dit vrai? Les résultats d’une étude de 10 ans menée par le CÉROM indiquent que les besoins des cultures semblent être les mêmes, que l’on soit en régie conventionnelle ou en régie sous semis direct.


Description de l’étude

L’étude a été réalisée de 2008 à 2017 sur un sol de type loam argileux de la série Saint-Urbain, située sur les terres du CÉROM à Saint-Mathieu-de-Beloeil. Au cours de cette étude, nous avons comparé deux régies de travail du sol, soit une régie conventionnelle et le semis direct. La régie conventionnelle consistait à réaliser un labour à l’automne suivi de passages de vibroculteur au printemps. Pour le semis direct, aucun travail du sol n’était réalisé à l’exception du passage d’un tasse-résidus à la suite de la récolte du maïs ou du soya.

De 2003 à 2007, soit pendant les cinq années avant l’implantation de l’essai, le sol était ensemencé avec du maïs-grain (3 ans) ou du soya (2 ans). Nous avons décidé de réaliser l’étude en conservant ces deux cultures en alternance dans l’essai. Du maïs était ensemencé au cours des années paires tandis que du soya était ensemencé lors des années impaires. Le choix de cette alternance des cultures était supporté par deux raisons fondamentales : premièrement, l’alternance de ces cultures est représentative de ce qui se passe chez plusieurs producteurs en grandes cultures au Québec. Deuxièmement, ces deux cultures peuvent être ensemencées à l’aide d’un semoir à maïs, lequel permet d’apporter la fertilisation minérale en bandes au semis.

En 2008, la richesse du sol en phosphore était de 113 kg/ha mehlich-3 avec une saturation en P/Al de 4,7 %. Selon les grilles de recommandation du CRAAQ de 2003, les quantités de P2O5 recommandées étaient alors de 40 kg/ha pour le maïs-grain et de 0 kg/ha pour le soya. Le sol était excessivement riche en potassium avec une concentration de 1010 kg/ha, ce qui se traduisait par une recommandation de 0 kg/ha pour la fertilisation potassique. Les doses recommandées en azote pour ces deux cultures étaient de 0 à 30 kg/ha pour le soya et de 120 à 170 kg/ha pour le maïs-grain. Dans le cadre de notre expérimentation, nous avons retenu les doses de 0 et de 160 kg/ha d’azote respectivement pour le soya et le maïs-grain. Le pH eau était à 7,0 et le contenu en matière organique de 5,1 %.


Les traitements

Un total de douze (12) traitements combinant de l’azote sous forme de nitrate d’ammonium, de phosphore sous forme de 0-46-0 et de la potasse sous forme de 0-0-60 ont été testés au champ. Un premier traitement consistait à ne mettre aucune fertilisation en NPK et constituait une parcelle témoin. Ce traitement permettait d’estimer la contribution du sol aux rendements sans aucune fertilisation minérale. Les parcelles d’un même traitement étaient implantées au même endroit au fil des années, ce qui permettait d’évaluer l’effet cumulatif du traitement.

Quatre doses ont été testées pour chacun des trois éléments fertilisants. Ces doses étaient identiques pour les deux cultures en ce qui a trait au phosphore et au potassium : 0-30-60 et 90 kg/ha. Pour ces deux éléments, tout le fertilisant était mis en bandes au semis à l’aide du semoir. Lorsque l’on faisait varier la dose de phosphore, les doses en azote et en potassium retenues étaient fixées à celles recommandées pour chacune des cultures par le CRAAQ (2003). Une méthodologie semblable était utilisée pour le potassium et l’azote.

Pour l’azote, deux séries différentes de quatre doses ont été évaluées pour chacune des cultures. Pour le soya, les doses 0-30-60 et 90 kg/ha ont été retenues et les quantités étaient appliquées en totalité en bandes au semis. Pour le maïs-grain, les doses 0-120-160 et 200 kg/ha ont été retenues. Cinquante (50) kg/ha d’azote ont été appliqués en bandes au semis comme démarreur sauf pour le traitement 0 N. Les quantités restantes pour atteindre les doses ciblées ont été appliquées aux stades de 5 à 6 feuilles du maïs et incorporées au sol.

 
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Gillest Tremblay, MAPAQ



Les conditions de croissance

Les cultivars et les hybrides utilisés ont varié tout au long des dix années de l’expérimentation et ils étaient bien adaptés aux conditions de croissance de la Montérégie. À l’instar des grandes cultures de beaucoup de producteurs, les cultivars et hybrides étaient généralement résistants au glyphosate. La date moyenne de semis du maïs a été le 13 mai, mais variait du 5 au 18 mai selon l’année. Pour le soya, les semis ont été réalisés en moyenne le 17 mai, s’étalant du 7 mai au 3 juin selon les conditions annuelles printanières.

Les conditions météorologiques rencontrées au cours de ces dix saisons ont été très variables. Les conditions météorologiques des années 2009, 2011 et 2014 ont été particulièrement difficiles pour les cultures. Ces trois années de cultures ont généralement été marquées par des accumulations moindres en unités thermiques pour la croissance des plantes. De plus, des conditions fraîches et humides retardant les semis ont marqué le début des saisons 2009 et 2011.


L’effet des régies

Les résultats obtenus indiquent qu’il n’y avait pas de différences significatives entre les rendements moyens en régie conventionnelle et les rendements obtenus en semis direct au cours de quatre des dix années de l’étude. Des différences de rendements en grains entre les deux régies ont été observées au cours des années 2009, 2010, 2011, 2012, 2014 et 2017. Ces différences de rendements sont en faveur de la régie conventionnelle au détriment du semis direct pour trois de ces six années. Nous avons d’ailleurs fait remarquer que ces trois premières années étaient caractérisées par des accumulations moindres en unités thermiques ou par des précipitations supérieures à la normale. Des saisons de croissance moins chaudes pourraient donc être plus propices à faire ressortir des différences de rendements entre les deux régies.


L’effet de la fertilisation

L’effet de la fertilisation en éléments majeurs, soit celui observé à partir des 12 traitements évalués, a été significatif au cours de 9 des 10 années de l’étude. La seule année où l’apport en fertilisation n’a pas eu d’effets significatifs sur les rendements en grains est l’année 2013, année impaire et correspondant donc à une culture de soya. La méthodologie de l’expérience ne permet pas de vérifier s’il existe ou non des interactions entre les niveaux des trois éléments majeurs sur les rendements en grains. Nous pouvons toutefois évaluer l’importance relative de ces trois éléments en analysant les réponses individuelles de chacun.


Le maïs-grain

Tout d’abord, penchons-nous sur l’azote et le maïs. L’apport d’azote minéral a eu des effets significatifs sur les rendements en grains du maïs cinq années sur cinq. De plus, les composantes linéaires et quadratiques de la réponse du maïs à l’azote ont aussi été significatives au cours de ces cinq années. En fixant le prix de l’azote à 1,10 $ le kilogramme et le prix du maïs à 200 $ la tonne, les doses économiques optimales en azote auraient été respectivement de 163, 165, 157, 200 et 146 kg N/ha pour les années paires de 2008 à 2016.

Selon les données de notre expérimentation, la dose économique optimale aurait généralement variée de 146 à 165 kg N/ha, ce qui correspond assez bien aux recommandations actuelles pour la culture du maïs-grain au Québec. Une dose économique de 200 kg N/ha a toutefois été observée en 2014, une année ayant connu des conditions météorologiques particulièrement difficiles. Il semblerait donc que le maïs pourrait répondre à un ajout plus important en azote lorsqu’il y a des contraintes à la croissance normale de la plante. De telles contraintes sont le plus souvent de nature climatique (sécheresse, manque de chaleur) ou pédologique (compaction, pH, drainage déficient).
Contrairement à l’azote, le maïs n’a répondu ni à la fertilisation minérale en phosphore ni à la fertilisation minérale en potassium. Il n’y a pas eu de réponse au phosphore bien que la recommandation du CRAAQ ait été de 40 kg de P2O5 en 2008. L’absence de réponse au potassium n’est toutefois pas une surprise puisque le sol est excessivement riche en cet élément.


Le soya

Bien que le soya soit une légumineuse capable de fixer l’azote de l’air, cette culture a tout de même répondu significativement à l’apport d’azote au cours de quatre des cinq années de l’expérience. Il n’y a qu’en 2013 que le soya n’a pas répondu à l’apport d’azote. En tenant compte du prix de l’azote et du prix de vente du soya, les doses économiques optimales auraient varié de 0 à 30 kg N/ha pour quatre des cinq années de l’essai. Ce constat correspond à la recommandation générale du CRAAQ. En 2011, la réponse du soya a été plus importante et la dose économique aurait été de 60 kg N/ha. Ce résultat semble surprenant, mais il ne faut pas oublier que le sol utilisé pour l’étude est un sol lourd qui se réchauffe difficilement au printemps. La vaste majorité des essais que nous avons menés sur d’autres sols de texture plus légère n’ont pas montré de réponse à l’azote. Les résultats de notre année expérimentale 2011 seraient l’exception qui confirme la règle générale de recommander de 0 à 30 kg N/ha pour le soya.

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Gilles Tremblay, MAPAQ




De 2009 à 2015, le soya n’a pas répondu à la fertilisation phosphatée. En 2017, nous avons observé un effet linéaire significatif de l’apport en phosphore sur les rendements en grains du soya. La dose économique optimale aurait oscillé autour des 60 kg P2O5/ha. La richesse en phosphore de ce sol a probablement franchi le seuil où l’on peut observer une réponse à l’apport de cet élément à la culture. Il aura fallu attendre vraisemblablement dix ans pour franchir ce seuil.

Le soya a répondu significativement à l’apport de potassium au cours de quatre des cinq années de l’essai, 2013 faisant exception. De plus, l’effet linéaire était significatif pour trois de ces quatre années (2009, 2015 et 2017). Cet effet linéaire était toutefois négatif. Plus on ajoutait du potassium, plus les rendements diminuaient. Puisque le sol à l’étude était riche en potassium, nous soupçonnons qu’il y ait eu le développement d’une toxicité de cet élément envers le soya à mesure que la dose augmentait. Cet effet toxique ne se serait toutefois pas exprimé lors des années de culture du maïs.


Interaction régie et fertilisation

Cette section nous permettra de répondre à notre questionnement initial : doit-on adapter sa fertilisation en semis direct ? Selon les résultats de notre étude, il n’y avait pas de différence entre les niveaux de fertilisation en éléments majeurs NPK pour les régies conventionnelles et semis direct au cours de neuf des dix années de l’essai. Une telle interaction n’a été significative qu’en 2009. Au cours de la saison 2009, les rendements sous semis direct n’ont pas été influencés par l’apport en fertilisants tandis que la fertilisation a eu des effets significatifs positifs en régie conventionnelle, probablement associés à l’apport en azote.

Nous avons donc présenté les résultats relatifs aux rendements de l’une des rares études québécoises de longue durée portant sur la fertilisation en éléments majeurs azote, phosphore et potassium (NPK). Bien que nous ayons observé des différences entre les régies ainsi que des effets significatifs de l’apport de l’un ou l’autre des trois éléments majeurs fertilisants sur les rendements en grains, il n’y a généralement pas eu d’interactions significatives entre le niveau des apports de ces éléments et l’utilisation de l’une des deux régies évaluées. Selon les résultats de notre essai, il ne serait généralement pas pertinent de modifier sa fertilisation en éléments majeurs NPK que l’on soit en régie conventionnelle ou en semis direct.


Par Gilles Tremblay, agronome, Direction régionale de la Montérégie-Est du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation et Marie Bipfubusa, Ph. D., chercheure en régie des cultures, CÉROM


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Organisation : Ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation (MAPAQ)
Collaborateur(s) : Gilles Tremblay, Marie Bipfubusa
Date de publication : 13 mai 2020
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