De nombreuses études menées en dehors du Canada ont montré que les propriétaires d’entreprises agricoles étaient souvent confrontés à des conditions de vie qui compromettaient leur état de santé mentale (Edwards et al., 2015; Hossain et al., 2008; Hull et al., 2017; Kallioniemi et al., 2008; Polain et al., 2011). En effet, il apparait que dans le monde de l’entreprenariat, les propriétaires d’entreprises agricoles seraient davantage confrontés à des difficultés en termes de santé mentale (Saarni et al., 2008). En ce sens, ces travailleurs et travailleuses sont exposés à divers facteurs contextuels, socioculturels, économiques, environnementaux et climatiques qui génèrent un niveau de stress intense et affectent négativement leur santé mentale (Lunner Kolstrup et al., 2013; Tonna et al., 2009).
Des recherches ont d’ailleurs mis en évidence que des transformations significatives dans le travail ont contribué à l’augmentation du stress chez les propriétaires d’entreprises agricoles. Ces derniers doivent désormais acquérir de nouvelles compétences dans divers domaines, tels que le commerce local, national et international, la gestion d’entreprise, la biologie animale et plusieurs autres (Mondy, 2014; Roy, 2014). De plus, des facteurs supplémentaires de stress, comme la mise en œuvre de nouvelles normes environnementales, l’augmentation de l’endettement, le manque de main-d’œuvre, le manque de reconnaissance et les difficultés liées à la relève, sont des sources importantes de préoccupation pour les producteurs et productrices agricoles (Lafleur et Allard, 2006; Magnin et al., 2017; Mundler et Ouellet, 2017; Viens et Lebeau, 2011). Ces facteurs ne sont d’ailleurs pas sans lien avec le fait que ces travailleurs et travailleuses sont considérés comme un groupe particulièrement vulnérable face à la détresse psychologique et au risque suicidaire (Droz et al., 2014; Hirsch et Cukrowicz, 2014). Il est important de souligner que les conditions et l’organisation de travail dans le domaine de l’agriculture peuvent aussi avoir un impact négatif sur la santé mentale. En effet, le rythme de travail, influencé par les conditions météorologiques, et la quantité de travail physique demandée (Lunner Kolstrup et al., 2013) peuvent être éprouvants. De plus, les agriculteurs travaillent en moyenne 68 heures par semaine, ce qui entraîne une surcharge de travail qui affecte leurs relations familiales (Rousseau, 2010). Des recherches ont démontré que les difficultés à concilier vie professionnelle et vie familiale entraînent des conséquences négatives sur le niveau de stress des individus et qu’ils sont plus susceptibles de se sentir en moins bonne santé (Kwok-Bun et al., 2007; Lavoie, 2016; Michel et al., 2011). Ce phénomène touche également les propriétaires d’entreprises agricoles, car beaucoup d’entre eux perçoivent leur charge de travail comme une source de stress lorsqu’elle entre en conflit avec leur rôle parental (Gingras-Lacroix, 2024; Roy, 2014).
Malgré cette réalité préoccupante, la santé mentale des agriculteurs et des agricultrices au Canada est encore peu documentée. La dernière étude canadienne sur ce sujet, datant de 2016, a révélé que 59,1 % des agriculteurs canadiens (toutes provinces et tous territoires confondus) étaient à risque de vivre de la détresse psychologique (Jones-Bitton et al., 2016). En comparaison, les données provenant de la population générale montraient que 24 % des hommes canadiens étaient à risque de vivre de la détresse psychologique (Camirand et al., 2016). Ceci tend à montrer que les propriétaires d’entreprises agricoles peuvent être surreprésentés par rapport aux autres Canadiens en ce qui concerne ce problème de santé mentale. Cependant, il faut noter que l’étude de Jones-Bitton et al. (2020) comprenait très peu d’agriculteurs québécois (seulement 10 sur 1 132 participants, soit 0,9 %). Il est donc difficile de connaître la situation dans cette population. La plus récente étude portant sur ce groupe remonte à 2006 et montrait que 49,5 % des répondants ont été identifiés comme ayant un niveau de détresse psychologique élevé (Lafleur et Allard, 2006). Il est donc important de mettre à jour ces données afin de mieux comprendre les besoins en santé mentale de ces personnes et d’élaborer des mesures ciblées pour améliorer la situation.
Afin d’avoir un portait plus actuel de la situation, une équipe de recherche de l’Université du Québec à Trois-Rivières a mis sur pied un projet de recherche visant à mettre à jour les données concernant l’état de santé mentale des propriétaires d’entreprises agricoles québécois. À cet effet, si vous êtes propriétaire d’une entreprise agricole, nous vous invitons à remplir un court questionnaire (env. 20 minutes) sur internet. Vous trouverez le lien URL pour participer sur l’affiche qui accompagne ce texte.
Avec cette étude, l’équipe de recherche espère contribuer au mieux-être des propriétaires d’entreprises agricoles en apportant des données qui permettront de cerner les besoins de ce groupe de population et contribuer à bonifier l’efficacité des interventions psychosociales.
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Gabriel Gingras-Lacroix,
Ph. D. en recherche des sciences de la santé
Postdoctorant en psychologie
Référence :
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Edwards, B., Gray, M., et Hunter, B. (2015). The impact of drought on mental health in rural and regional Australia. Social Indicators Research, 121(1), 177-194.
Gingras-Lacroix, G. (2024). La paternité et son influence sur le stress ressenti par les agriculteurs. (Doctorat), Université du Québec en Abitibi-Témiscanigue.
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Portrait de l’état de santé mentale des propriétaires d’entreprises agricoles
Publié le 17 avril 2025
Université du Québec à Trois-Rivières
Collaborateur(s) : Gabriel Gingras-Lacroix, Lyson Marcoux et Michael Cantinotti
